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Pascal, et, depuis les grotesques des Morticoles jusqu’aux pontifes de l’Évasion et de la Nouvelle Idole, on peut dire que toutes les variétés de l’espèce ont été épuisées. Quelquefois ridicules et plus souvent sublimes, encensés plus souvent que bafoués, il leur arrive de soulever des colères, mais nul ne songe à traiter sans conséquence des personnages aussi importans. Ils ont beaucoup d’adulateurs et quelques ennemis, comme c’est l’habitude des puissans du jour. Ils parlent avec assurance et on les écoute avec déférence. Ils ont, auprès des familles, hérité de ce rôle de confidens qu’y jouait le directeur de conscience au temps où les questions de conscience primaient toutes les autres, et qui avait passé au notaire du jour où la question d’argent avait passé au premier plan. Et n’est-il pas remarquable que, dans la littérature de ces cinquante dernières années, le type le plus étudié et le mieux venu, le plus solidement campé et le plus vivant, soit celui d’un pharmacien ? Pour ce qui est des ingénieurs, n’essayons pas d’en faire le compte : ils sont trop ! Mais voici que les gens du monde se mettent à parler au théâtre le langage de l’amphithéâtre : Olivier de Jalin, devenu le Cygneroi de la Visite de Noces, soumet l’amour à une étude physiologico-philosophico-chimique. Pareillement, les Goncourt font dans leurs romans la « clinique de l’amour. » Tel récit n’est que l’illustration d’un cas médical ; tel autre est un chapitre de préhistoire et tel autre de géophysique. On a besoin d’un effort de mémoire et surtout de bonne volonté pour se dire que la littérature peut encore avoir ici quelque chose à faire. Jadis, le vieil enfant qu’était La Fontaine eût pris un plaisir extrême à entendre conter Peau d’âne ; mais on ne conte plus les contes de fées ; car, entre les mains des folkloristes, ils sont devenus, eux aussi, objet de science. Nous autres, le seul merveilleux dont on ait bercé notre enfance a été celui des problèmes de l’aéronautique et de la navigation sous-marine. Encore les enfans d’aujourd’hui reprochent-ils aux « Voyages extraordinaires » de Jules Verne d’être trop extraordinaires et de mêler trop de rêveries à trop peu de données positives.

Tous ces exemples, et tant d’autres qu’il serait facile d’y ajouter, montrent assez quel prestige ou quelle espèce de fascination la science a exercée sur les écrivains pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Reste à savoir comment, sous cette influence, la littérature s’est trouvée modifiée dans sa conception générale d’abord et ensuite dans quelques-uns de ses résultats particuliers. La transformation a été profonde, et on n’en imagine guère de plus complète, puisque c’est en grande partie à l’action de l’esprit scientifique que la littérature doit