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Les romanciers naturalistes se donnent pour mission de mener sur la société de leur temps une enquête vaste et méthodique. M. Zola croit, de bonne foi, que le roman peut être expérimental. On connaît assez la confusion qu’il a commise sur ce point et on n’a pas oublié ces stupéfiantes affirmations : « Nous autres naturalistes, hommes de science. » M. Sully Prudhomme, dans la Justice et le Bonheur, fait du « long poème » un instrument d’investigation philosophique. M. Paul Bourget qualifie tel de ses romans d’être une planche d’anatomie morale. Les savans eux-mêmes sont frappés d’avoir à constater les progrès que font leurs idées dans les esprits et d’en retrouver tant d’échos dans la littérature. Ils s’en applaudissent. « Si je vous disais, s’écriait Pasteur, que vous trouveriez encore dans Buffon des phrases comme celle-ci : « Cherchons une hypothèse pour ériger un système ! » Comprenez-vous le progrès maintenant, lorsque de nos jours un romancier se croit tenu de nous dire : « L’expérience est mon guide. » C’est là ce que j’admire et qui me fait dire que la philosophie des sciences fait partie intégrante du sens commun. » Le fait est que depuis cinquante ans l’écrivain s’est cru obligé de parler le langage de la science et de donner même à ses raisonnemens, même à ses fictions, un support scientifique.

Nous nous sommes tenus jusqu’ici aux théories, aux programmes et aux promesses des préfaces ; et sans doute c’est autre chose de faire dans une préface de solennelles déclarations, autre chose de s’y conformer dans son livre ; sans doute aussi les écrivains ne se sont pas fait faute, au cours de leur œuvre et chemin faisant, de redevenir tout uniment des hommes d’imagination et de sensibilité. Toutefois il serait fort injuste de prétendre que ces professions de foi scientifique n’aient été que pour impressionner la galerie. Bien au contraire. Le zèle des écrivains est indiscutable. Et si beaucoup d’entre eux n’arriveront jamais à s’approprier le tour d’esprit scientifique, ce ne sera pas faute d’y avoir tâché. Du moins leur respect ou leur superstition de la science s’accuse par le choix de leurs personnages et de leurs sujets, par la nature des questions qu’ils abordent et par la qualité du style dans lequel ils les traitent. On lire le savant de son laboratoire pour l’amener sur la scène et le faire entrer dans le roman : Pierre Chambaud, le héros de Un beau mariage travaille à liquéfier les gaz, et Desroncerets, dans Maitre Guérin, se ruine pour la statilégie. Jacques Vignot, du Fils naturel, est un économiste, Claude, de la Femme de Claude invente des engins de guerre, et Rémonin, de l’Etrangère, est chimiste. Et que de médecins ! Depuis le médiocre Bovary jusqu’au sublime docteur