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Nous manquons de science avant tout ; nous pataugeons dans une barbarie de sauvages : la philosophie telle qu’on la fait et la religion telle qu’elle subsiste sont des verres de couleur qui empêchent de voir clair parce que : 1° on a d’avance un parti pris, 2° parce qu’on s’inquiète du pourquoi avant de connaître le comment, et 3° parce que l’homme rapporte tout à soi : le soleil est fait pour éclairer la terre, on en est encore là. » La forme est embarrassée, mais les idées sont claires et ce sont aussi bien celles auxquelles se référera le romancier de Madame Bovary.

C’est aux environs de l’année 1865 que se place pour l’influence des sciences le moment décisif et que s’opère la grande poussée scientifique. C’est l’année où paraît l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard ; l’Origine des Espèces de Darwin vient d’être traduite ; Taine a déjà donné, outre ses Essais dont la deuxième série parait cette année même, son Histoire de la Littérature anglaise, et il a exprimé la plupart des idées qu’un peu plus tard on retrouvera systématisées dans le livre de l’Intelligence. La physiologie et la médecine sont alors les sciences qui s’imposent tout particulièrement à l’attention et influent sur la direction des esprits ; l’expérimentation y remplace l’observation, et après avoir été longtemps un art où régnait en maître l’empirisme, la médecine va de plus en plus, grâce à Claude Bernard et à Pasteur, devenir une science. Théorie de l’évolution, déterminisme de tous les phénomènes, nécessité pour quiconque veut généraliser d’avoir collectionné les petits faits, utilité d’étudier les formes anormales de l’activité, telles sont les idées qui se trouvent soudain jetées toutes ensemble dans la circulation. Elles opèrent parmi les littérateurs de subites conversions, et, par exemple, celle de Dumas fils, dont les Préfaces révèlent un goût parfaitement inattendu et une ferveur surprenante pour l’expérimentation. Il écrira un peu plus tard dans la Lettre à Cuvillier-Fleury : « Français ayant à parler surtout à des Français, pour commencer, j’avais à savoir ce que des âmes françaises donnent dans leurs combinaisons avec leurs lois et leurs mœurs particulières. Je résolus de solliciter la production des faits que je voulais observer quand ils ne se présenteraient pas tout seuls, et de tâcher d’en assigner la loi, d’en déterminer les causes et de reconnaître la manière dont ces causes agissent, ce qui est la véritable méthode d’expérimentation. » La gaucherie même avec laquelle l’auteur de la Femme de Claude manie ce jargon scientifique témoigne assez d’une bonne volonté éperdue de se mettre à la mode du jour. C’est alors que la littérature à prétentions scientifiques fait son apparition.