Il ne dédaigne pas de prendre l’action et les personnages de ses chefs-d’œuvre dans le cours ordinaire des choses et dans la moyenne de l’humanité. Don Juan n’est vraiment un héros, le héros du mal, qu’à la dernière scène, et nulle part ailleurs la musique ne l’a marqué du signe fatal et presque sacré que la poésie a trop souvent cru lire sur son front. Mozart n’exagère rien, pas même la mort, et, sous l’épée de don Juan, ce n’est pas non plus un héros qui tombe, ce n’est qu’un homme comme nous. A côté de parties fantastiques et vraiment célestes, la Flûte enchantée en a de très modestement humaines, et les refrains populaires s’y mêlent sans honte à de sublimes liturgies. Est-il rien de plus accessible, de moins intimidant que les mélodies de Mozart ? Les plus admirables n’ont l’air que de faciles chansons. Un enfant les retient sans peine. Il est vrai que, pour les trouver, il a fallu presque un dieu ; mais ce dieu s’est fait notre semblable et il a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité. Je ne sais pas un autre génie, hormis peut-être celui de Raphaël, dont l’humanité voile et tempère ainsi la nature divine ; je ne vois pas un autre idéal dont on puisse répéter avec Gounod, en deux mots qui disent tout, qu’il est à la fois supérieur et prochain.
Il est intime et craint la foule. Ce propos apocryphe : « J’ai fait Don Juan pour moi et quelques amis, » mériterait d’avoir été tenu. Les formes plus récentes du drame musical : le « grand opéra français » ou la polyphonie wagnérienne, supportent et comportent même, devant un public nombreux, sur une vaste scène, le déploiement de toutes les forces, de toutes les richesses matérielles et sonores. L’opéra mélodique a de moindres exigences une petite salle et de grands artistes suffisent à ces tableaux exquis d’une vie discrète, qui ne veulent point de cadres trop larges et trop éclatans.
Si l’harmonie, malgré le vers fameux, n’est pas toujours « fille de la douleur, » presque toute mélodie de Mozart est fille de la joie : d’une joie sans vulgarité ni violence, joie légère et vive, pareille à l’air subtil que les Athéniens se vantaient autrefois de respirer. Et voilà le second trait de l’idéal de Mozart. Quelques soupirs, quelques sanglots même, et déchirans, se fondent et se perdent en la sérénité de ses chants, presque tous inspirés par la douceur et non par la douleur de vivre. On rappelait dernièrement un mot de Liszt : « Chopin avait mal à la poitrine ; Schumann avait mal à la tête ; Beethoven avait mal à