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méconnus et traités de fastidieuses roulades. Ils sont pourtant quelque chose de plus. Purement vocale, ou même vocalisée, il est rare que la mélodie de Mozart perde toute expression. Il arrive seulement, en notre pays, que sa force expressive ne puisse rien contre le néant ou l’ineptie de la mise en scène, contre une traduction tantôt insipide et tantôt insensée. Mais un de nos confrères a rapporté quelle fut son émotion, à l’Opéra de Munich, lorsqu’il vit paraître, en plein ciel, « à mi-hauteur du théâtre, la Reine de la nuit, le front ceint d’une couronne d’étoiles, vêtue d’une longue robe noire, droite, immobile, hiératique. Elle commença son air, et cette voix claire qui tombait du milieu du ciel, de très loin, solennelle d’abord, puis plaintive, avait quelque chose de pénétrant et de froid comme une lame d’acier. Soudain les fusées des vocalises éclatèrent, les notes se précipitèrent en traits suraigus, et cela était étrange et poétique. On eût dit un scintillement d’astres, une danse d’étoiles dans le ciel pur et profond d’un soir de printemps ; ce n’était plus un morceau de virtuosité, mais un tableau musical d’une rare et troublante poésie[1]. »

Voilà le sens et l’expression que peut avoir un air de Mozart, alors même qu’il ne consiste qu’en des traits et des vocalises ; voilà la pensée ou le sentiment qui se cache sous les apparences d’un exercice de virtuose ; voilà, dans l’opéra mélodique, la part du paysage et de la nature après la part de l’humanité.


IV

Un opéra de Mozart ne constitue pas seulement un groupe et comme une galerie de personnages vivans. Ainsi que toute œuvre d’art supérieure, il possède une signification plus étendue, et, s’élevant au-dessus des représentations individuelles, il exprime ou réalise un idéal de la vie elle-même.

De cet idéal il semble que le premier caractère soit la simplicité, je dirais même la familiarité. Mozart ne nous tient pas à distance ; jamais il ne nous écarte, ne nous étonne ou ne nous humilie ; plutôt que de nous dépasser, il nous élève avec lui. Grillparzer l’a remarqué finement : « Il a préféré paraître plus petit qu’il n’était, plutôt que de s’enfler jusqu’au monstrueux. »

  1. M. Julien Tiersot, Étude sur « la Flûte enchantée. »