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chanson de don Juan : Fin ch’ han del vino. Comme elle va, comme elle court, mais comme elle s’accroît et se renouvelle en courant ! Quelle variété d’accens et de tours Mozart donne ici au rythme, qui seul ne varie pas ! Comme il laisse fuir et, pour ainsi dire, filer le thème principal, pour le rejoindre et le ramener à sa guise ! Entre les innombrables mélodies de Don Juan, celle-ci n’est qu’une des moindres ; elle montre pourtant, mieux que beaucoup d’autres, comment, chez Mozart, la rapidité de la pensée n’en brusque et n’en étrangle jamais l’épanouissement,

La mélodie de Mozart, qui sait commencer, qui sait durer, sait également finir. C’est d’elle qu’on peut dire, sans ironie : « La chute en est jolie, amoureuse, admirable. » Autant que de ravissans débuts, Mozart a des fins adorables, des cadences dont personne, hormis notre Gounod quelquefois, n’a retrouvé le secret. Rappelez-vous comment s’achèvent les deux airs de Chérubin : d’abord quelle modulation imprévue, simple et pourtant efficace (de si bémol en sol mineur) donne aux dernières mesures du : Voi che sapete l’expression d’un presque douloureux émoi. Cet effet-là, sans doute, n’est que d’harmonie, car il consiste en deux accords. Mais un autre est tout mélodique. Il se trouve à la fin du premier air du page, sur ces mots : E si non ho chi m’oda (« Si je n’ai personne pour m’entendre »). L’air tout entier n’a été, jusqu’ici, comme Chérubin lui-même, qu’un tourbillon ; mais brusquement, sur le point de conclure, il se ralentit. Au lieu de bouillonner, quelques notes s’écoulent et perlent une à une. Analogues, par la direction descendante, aux autres notes de la mélodie, elles en diffèrent par le mouvement : les autres éblouissaient, elles attendrissent. Et cette halte, après cette course, est quelque chose de délicieux ; c’est une nuance, une ombre, plus sensible chez Mozart que chez Beaumarchais, de mélancolie et de mystère.

Ailleurs même, partout ailleurs qu’en ces deux pages choisies, on sait que les cadences de Mozart ont une grâce unique. Mais elles ont encore quelque chose de plus : quelque chose de vraiment final et d’absolu qui manque trop souvent à nos cadences modernes. Celles-ci ne décident rien : elles nous laissent inquiets et dans le doute ; celles de Mozart terminent tout : avec la certitude, elles nous donnent le repos.

Enfin, si une mélodie de Mozart est un organisme de notes et de groupes de notes, c’est un organisme de mélodies qu’un