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jamais avec plus de largeur, par une aussi magnifique période que le grand air de Leporello : Madamina ! il catalogo è questo. Il ne dure pas moins de quinze mesures, cet exorde ; quinze mesures qui ne sont qu’une seule phrase, mais si pleine de vie, de verve et de joie, que l’air tout entier, que tous les racontars du valet et toutes les amours du maître y sont comme contenues en puissance et vont tout à l’heure en sortir.

Au point de vue des proportions, de l’ordonnance et de la hiérarchie, en un mot de tous les rapports qui constituent la mélodie, l’air de Chérubin : Voi che sapete, n’a peut-être pas son pareil. La période initiale est de douze mesures ; celles qui suivent n’en ont que huit. La dernière seule, avant « la rentrée, » en compte neuf, et ce retard d’un moment lui communique une incertitude, un trouble délicieux. Les rapports de rythme ne sont pas moins harmonieux ici que les rapports de nombre. La première phrase détermine d’avance les valeurs qui domineront pendant toute la durée du morceau : une noire ou deux croches par temps, et çà et là, mais par exception, quatre doubles croches, pour donner plus d’élégance au dessin, au sentiment plus de vivante. Enfin il n’est pas jusqu’aux modes qui ne se fassent équilibre ici. La mélodie monte, se hâte, et triomphe en majeur lorsque Chérubin chante sa joie (ora è diletto) ; elle se ralentit, s’abaisse et se fond en mineur, si l’enfant, tout bas, pleure sa peine (ora è martir). Une mesure, une demi-mesure parfois, suffit, à ce jeu changeant de lumière et d’ombre. D’un bout à l’autre de l’air, par je ne sais quelle génération mystérieuse, la mélodie naît et renaît d’elle-même, et, se renouvelant sans cesse, elle ne s’épuise jamais. Après s’être en quelque sorte projetée, accrue hors d’elle-même, c’est à elle-même qu’elle revient, en elle-même qu’elle rentre. Agitée et haletante un moment à la fin de son cours, elle s’achève calmée ; de sorte qu’il ne manque pas une correspondance et pas une vicissitude à l’harmonieuse économie de son être.

La vitesse même n’est jamais pour la mélodie de Mozart une cause de désordre. Les allegros, les prestos du maître ne sont ni plus pauvres, ni plus confus que ses adagios ne sont languissans. Près de sauter par la fenêtre, et pour ainsi dire en sautant. Chérubin chante avec Suzanne un duo de quelques secondes, admirable de richesse autant que de brièveté. C’est une merveille d’emportement et d’abondance à la fois, que la pétillante