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« Sans doute on peut supposer que ces notes qui s’appellent sont complémentaires l’une de l’autre, qu’il doit y avoir entre elles la différence et l’attraction du positif et du négatif, et qu’ainsi, leur union est un symbole de l’amour ; mais il y a loin de là à reconnaître quelles sont les notes qui s’aiment, à mesurer à quel degré elles s’aiment, dans quelles circonstances elles s’aiment le plus, à saisir ainsi au vol tous les caprices de leurs amours. Ceci restera toujours le secret et la mesure du génie[1]. »

Il semble en effet, pour ces raisons profondes, que la mélodie soit le grand secret, et le plus caché, de la musique. A quoi tient la vulgarité de telle mélodie et la noblesse de telle autre ? Analogue en apparence, celle-ci ne diffère de la première que par un détail, un rien, une ou deux notes peut-être. Mais, devant ces deux notes changées plus que devant les merveilles complexes de l’harmonie ou de l’instrumentation, la critique se déconcerte et s’arrête. Ici l’inconnaissable et l’irréductible commence. Eh bien ! dans cet ordre de la beauté mystérieuse et simple par excellence, de l’unité qui ne se décompose pas, Mozart n’a pas connu de rival, ou du moins de vainqueur. Mélodie antique ou grégorienne, mélodie de l’Italie qui chante ou de la symphonique Allemagne, mélodie des Bach et des Haydn avant Mozart, des Beethoven et des Schubert, des Schumann et des Wagner après lui ; mélodie créée par le génie d’un artiste, éclose sur les lèvres ou la flûte d’un berger, aucune mélodie p(mt-être n’est parfaite comme est parfaite une mélodie de Mozart. Jamais quelques notes ne se sont suivies comme Mozart les fait se suivre ; jamais elles ne se sont attirées, appelées d’une voix aussi douce, jamais elles ne se sont aimées d’un aussi tendre amour.

« La mélodie, écrit M. Riemann dans son excellent Dictionnaire de musique, la mélodie est une succession de sons ayant entre eux des rapports logiques et déterminés. » Mais ces rapports sont de plus d’une sorte et comme à plus d’un degré. Ils existent d’abord entre les notes isolées ; puis entre les groupes de notes formant les membres ou les périodes ; enfin entre les diverses mélodies composant un morceau, que celui-ci d’ailleurs soit un air, un duo, un trio ou un ensemble.

Entre la première note et les suivantes, Mozart aperçoit immédiatement les affinités les plus délicates. La mélodie de Mozart

  1. P. F. G. Lacuria, les Harmonies de l’être exprimées par les nombres, 2 vol. in-8o. Chacornac, éditeur, 1899. (Cité dans un numéro du Courrier musical de 1901.