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le courant passe constamment de l’une des voix à l’autre, des voix à l’orchestre et de l’orchestre aux voix. Ici plus que jamais, tout chante. Et sans doute, puisque Suzanne écrit et relit un billet que lui dicte la comtesse, sans doute, pour exprimer la continuité de l’action, cette continuité de la musique, ce circuit ou cet échange perpétuel était nécessaire. Mais, tout de même, le rôle mélodique de l’orchestre ne résulte pas seulement de la situation. Il tient au caractère, à l’habitude du génie de Mozart. Il atteste une dernière fois que, pour le musicien des Noces et de Don Juan, la mélodie était la forme que prenaient le plus volontiers tous les élémens et toutes les forces, même instrumentales, des sons.


II

Dans un article anonyme sur un livre inconnu, j’ai lu dernièrement cette page, qui m’a frappé :

« L’unité dans la musique est de deux ordres différens, ou, si l’on veut, offre deux dimensions, qui sont l’harmonie et la mélodie. L’harmonie, comme on le sait, est l’unité de plusieurs tons dans un seul accord.

« La science a posé son compas sur cette dimension de l’unité ; elle a découvert que les tons qui s’accordaient entre eux avaient des rapports arithmétiques parle nombre de leurs vibrations..

« ... La seconde unité, celle de la mélodie, échappe entièrement à la science. Nous avons déjà vu cette belle définition du chant : une suite de notes qui s’appellent. Mais par quel charme s’appellent-elles ? Par quel lien restent-elles attachées ensemble dans la mémoire et dans le cœur ! Nul ne peut le dire. Les notes qui subsistent dans un accord ne s’appellent point dans l’ordre mélodique et ne peuvent former un chant ; les notes qui, placées à la suite l’une de l’autre, forment un air, offrent des nombres de vibrations sans rapports ou, comme l’on dit, premiers entre eux, et pour trouver l’unité de ces nombres, il faudrait remonter à l’unité première et infinie où tous ces nombres sont un. C’est donc par une espèce d’intuition de l’infini que l’âme chante ; c’est par cette intuition merveilleuse qu’elle découvre entre les tons ces sympathies plus ou moins profondes qui attachent chaque note à celle qui la suit, et forment, de toutes réunies, ces guirlandes ravissantes que rien ne peut rompre.