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qu’accompagner : il coopère. Il n’a rien de commun avec l’inutile et misérable guitare que deviendra, vingt années seulement après Don Juan, l’orchestre de l’opéra mélodique en décadence. Mais, en dépit de sa variété, de sa richesse, l’orchestre de Mozart est traité mélodiquement : il chante. On peut noter ici l’un des caractères du génie de Mozart. Tandis que Bach écrit souvent la phrase chantée dans le style instrumental, Mozart, au contraire, traite volontiers les instrumens comme les voix. Et Wagner, un jour, Wagner, qu’en ces études rétrospectives on aperçoit de loin, comme au bout de toutes les avenues de notre art, Wagner, à cet égard, procédera beaucoup moins de Mozart que de Bach. Si nous comparons en passant l’orchestre de Mozart et celui de Wagner, nous constatons aussitôt qu’ils ne diffèrent pas seulement par la composition et les ressources matérielles, mais encore, et bien davantage, par leurs fonctions. L’orchestre de Wagner semble constamment ne parler et n’agir que pour son propre compte. Il fait peu de cas de la voix, à moins qu’il ne lui fasse violence. L’orchestre de Mozart, au contraire, la respecte ; il l’aime et, désireux de la servir, de l’imiter même, avec elle et comme elle, à chaque instant, il chante. Quelquefois il lui cède la place et, par sa discrétion, par sa retraite volontaire, il témoigne qu’elle peut, au besoin, se passer de lui. Mais, lorsqu’il s’unit avec elle, on ne saurait trop le redire, il ne souhaite que de lui ressembler. D’un bout à l’autre du grand air de Leporello, dès que la voix se tait, ne fût-ce que pour reprendre haleine, l’orchestre lui réplique, mais en empruntant son langage, et, dans les courts silences de la mélodie vocale, ce sont des éclats de mélodie que jettent les instrumens. Un instrument (le violoncelle) accom pagne la coda de l’air fameux de Zerline : Batti, batti, bel Mazetto ! Mais rappelez-vous avec quels ménagemens, quelle sollicitude pour la voix délicate, et comme l’accompagnement fluide porte la mélodie, l’entraîne, et ne la submerge pas. Ailleurs, dans la scène du bal, on dirait que Mozart n’a réuni trois petits orchestres que pour leur faire jouer ensemble, et le plus aisément du monde, trois mélodies. N’est-ce point encore une mélodie en partie double que la célèbre sérénade, où la voix de don Juan et sa mandoline chantent chacune sa chanson ? La mélodie toujours, une mélodie non seulement infinie à sa manière, mais en quelque sorte universelle, puisqu’elle est partout, enveloppe tout entier certain duo des Noces de Figaro : celui de la Dictée, où