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dans le drame wagnérien. Cette mélodie, son bien par excellence, Mozart la prend où il la trouve. Il l’accueille d’où qu’elle vienne : de son divin génie, ou du génie plus humble, de l’instinct mystérieux de la foule. On sait quelle part il a faite, quels hommages il a rendus à la chanson populaire en celui de ses chefs-d’œuvre qui réunit peut-être les plus familières et les plus nobles beautés. Après un exemple pareil, qui pourrait encore accuser de trivialité, voire de bassesse, telle ou telle page d’une partition récente ? Quel auditeur de Louise refusera de se laisser charmer, émouvoir même par les cris de Paris, de notre Paris, quand Mozart n’a pas dédaigné de faire voltiger les refrains de Vienne sur les lèvres de Papageno ?

Ouvrons à la première page, à l’index thématique, la partition de l’Enlèvement au sérail. Nous y trouvons cette nomenclature : « n° 1, air ; n° 3, air ; n° 4, récitatif et air. » Sur vingt et un morceaux, douze airs, douze chants individuels ou mélodies ; sans compter que les duos, trios, quatuors, qui forment le reste de l’ouvrage, sont écrits dans un style aussi mélodique au moins que concertant. Tel est le cas, dans Don Juan, du fameux trio des Masques, admirable concert, non pas de notes, mais de phrases et, puisqu’il n’y a pas d’autre mot, de mélodies. Comparez cet ensemble à tel morceau, polyphonique aussi, du XVIe siècle, motet ou madrigal à trois voix. Celui-ci vous apparaîtra comme une combinaison de points, au lieu que, dans le trio des Masques, ce sont des lignes qui se développent, se correspondent et s’entrelacent. Ailleurs, il n’y a pas jusqu’à certaines gammes (scène finale entre don Juan et le Commandeur), gammes lentes et, grâce à cette lenteur même, perceptibles note par note, qui ne prennent une apparence mélodique : elles se jouent, mais il semble qu’elles pourraient aussi bien se chanter.

La mélodie est partout chez Mozart. Quelquefois au-dessus de l’harmonie, elle est parfois au dedans. Elle s’enferme, se cache parmi les accords arpégés accompagnant la mort du Commandeur, pour s’en dégager à la fin et perler, comme une larme qui tombe, en cinq ou six notes de hautbois.

Enfin l’orchestre même de Mozart est artisan de mélodie. Tantôt, au début d’un air, il en expose le thème ; tantôt, comme dans l’air de Leporello : Madamina ! il catalogo è questo, dans le duo du Cimetière, les mélodies à chaque mesure jaillissent de l’accompagnement. Que dis-je ! un tel orchestre fait plus