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d’orchestre servent d’exorde au discours d’Iphigénie. De même l’orchestre annonce brièvement les premiers mots de dona Anna : « Era già alquanto avanzata la notte. » Mais, tandis qu’une note, une seule, quatre fois répétée, suffit à Gluck, Mozart pose ici une série d’accords, et telle en est, avec la simplicité, le pouvoir, qu’ils égalent, dépassent la parole, et que c’est eux-mêmes, eux seuls, qui font vraiment la nuit. Ainsi, ne fût-ce qu’en deux mesures, la « musicalité » de Mozart se révèle plus riche que celle de Gluck et, dans les récitatifs de Don Juan ou des Noces, le son, plus que le verbe, apparaît comme la cause ou la source de la beauté.

La symphonie elle-même, ou l’orchestre, ne laisse pas d’y contribuer parfois et le génie vocal n’est pas tout le génie de Mozart. Déjà dans l’Enlèvement au sérail, Mozart obtient certains effets de l’instrumentation et des timbres. Pendant les répétitions de son ouvrage, il écrivait à son père : « Savez-vous comment j’ai rendu l’air de Belmont en la majeur : O wie ängstlich, o wie feurig ! (Oh ! avec quelle anxiété, avec quel brûlant désir bat mon cœur plein d’amour !) Le cœur qui bat est déjà annoncé d’avance par les violons en octaves. C’est l’air favori de tous ceux qui l’ont entendu,... de moi aussi. On y voit le tremblement, l’irrésolution ; on voit se soulever le cœur gonflé, ce qui est exprimé par un crescendo ; on entend les chuchotemens et les soupirs rendus par les premiers violons en sourdine et une flûte à l’unisson[1]. » Il arrive même que l’orchestre de Mozart, grâce à la nature seule des thèmes et à la façon dont il les attaque, nous donne l’impression d’une symphonie qui commence (voyez le dernier finale de Don Juan : Già la mensa è preparata). L’air de Suzanne, habillant ou déshabillant Chérubin à genoux devant la comtesse (Venite, inginocchiatevi) ; le duo de don Juan avec Leporello (Eh ! via, buffone) ; la plupart des épisodes qui forment le merveilleux finale des Noces de Figaro, sont autant de morceaux qui pourraient presque se jouer à l’orchestre seul. Sans la voix, les instrumens encore chanteraient.

Mais la symphonie, comme le récitatif, n’est dans l’opéra de Mozart que l’exception ou l’accessoire ; la mélodie y est le principal et la règle, une règle plus générale et plus absolue encore que n’est la déclamation dans l’opéra de Gluck ou la polyphonie

  1. Traduction H. de Curzon.