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pour déterminer une règle équitable, cette règle ne devrait pas être uniforme, et que ses variations dans l’espace, c’est-à-dire entre pays différens, seraient commandées par des facteurs infiniment nombreux, très difficiles à mesurer avec rigueur, variables eux-mêmes dans le temps, c’est-à-dire d’une année à l’autre. Parce que, à supposer cette règle une fois établie, son application serait soumise ou à l’arbitraire de chaque Etat, — et, dans ce cas, l’on n’aurait rien fait, car, en changeant l’un quelconque des facteurs en question, l’on modifierait dans leur essence même les résultats escomptés ; — ou au contrôle mutuel et réciproque des Etats, — et alors c’est la négation de toute autonomie nationale, le système des impôts, celui des douanes, la législation civile, pénale ou commerciale, le régime des a oies de communication, en réalité la civilisation tout entière de chacun livrée à « la discrétion d’un pouvoir étranger. » — Pouvoir international ou fédéral, dira-t-on. Certes, mais qui ne sait que dans toute fédération, le plus fort s’est toujours imposé au plus faible ? Aux Etats-Unis, le Nord a prévalu sur le Sud ; en Allemagne, la Prusse sur tous les autres Etats.

La question est internationale assurément, de l’aveu des ouvriers aussi bien que des gouvernemens[1], mais elle ne saurait se résoudre par les voies internationales, car, s’il est loisible de concevoir la suppression des frontières, la géographie, la géologie et l’ethnologie ne peuvent être supposées autres que ne les a faites la nature. La militarisation même du personnel minier, chère à M. de Bismarck, ne ferait que déplacer la question, aucun pouvoir humain n’étant capable d’inspirer à tous les gouvernemens un courage égal pour maintenir une discipline unique. Quand on étudie le problème de près. l’on en vient aussitôt à reconnaître qu’il ne comporte point de solution ni de système absolu, mais bien autant de solutions qu’il y a d’espèces différentes, et que, dans chaque espèce, c’est aux intéressés seuls, ouvriers et patrons, qu’il appartient de la chercher « volontairement » et d’un commun accord. Il n’existe et ne saurait exister aucun lit de Procuste pour égaliser les conditions du travail dans l’univers.


ANDRE LEBON.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er novembre, l’article de M. Charles Benoist, Le Travail, le Nombre et l’État. — III. Les Lois, p. 114-118.