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satisfaisante, qu’un mot de M. de Bismarck avait jeté une lumière très crue sur « la portée ultérieure » de cette dernière question.

Un jour, durant une suspension de séance, le Chancelier de fer, qui laissait à d’autres le soin de diriger les travaux de la Conférence, était entré subitement dans la salle où devisaient les délégués, suivi, comme toujours dans les circonstances « intimes, » de ses deux magnifiques chiens danois. On conçoit aisément la sensation que produisirent cette irruption et ce cortège sur tous ceux — et ils étaient nombreux — qui n’avaient jamais approché le ministre, tout-puissant depuis tantôt trente ans et pour deux jours encore. Les présentations faites, M. de Bismarck se mit à causer familièrement de choses indifférentes avec les principaux personnages présens, puis, soudain, avec la brusquerie tranchante qu’il apportait si volontiers dans ses communications les plus importantes, il aborde l’un des délégués français en ces termes imprévus : « Je ne puis tolérer plus longtemps que la production de la houille soit à la merci des fantaisies ouvrières ; il est inadmissible que le sort de l’industrie nationale tout entière, celui même de la patrie à un moment donné, soit livré à la discrétion d’une minorité turbulente ; je suis résolu à tout pour faire cesser une situation aussi précaire ; au besoin, je militariserai les mineurs, les affranchissant du service armé, mais ayant du moins en main les moyens de les contraindre à extraire du sol le pain de nos usines et de nos locomotives. » Et il sortit, en caressant ses molosses[1].

La stupéfaction fut grande, et aussi l’émotion. Cette déclaration, aussitôt colportée de groupe en groupe, donnait enfin son véritable sens à cette partie du programme dont M. Hauchecorne avait dit que « sa portée serait définie ultérieurement. » La définition n’était point faite pour calmer les scrupules de la plupart des puissances adhérentes. Évidemment la pensée dominante de l’Allemagne était surtout personnelle ; si, à la rigueur, l’empereur Guillaume II, dont on peut dire parfois qu’il aime les

  1. Il est curieux de constater qu’une idée analogue s’était fait jour à la tribune de la Chambre dans l’interpellation du 6 mars : « C’est un intérêt supérieur, avait dit M. Francis Laur, très préoccupé des approvisionnemens de charbon pour le cas de guerre, qui me force, pour une fraction des travailleurs français, à différer un peu cette revendication qui est la mienne (la journée de huit heures), et, comme compensation, nous demanderons pour eux, en temps de mobilisation, l’exemption du service militaire, qu’ils remplissent si admirablement au fond de la mine si dangereuse. »