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Le sentimentalisme s’énerve ici dans sa recherche, et en vient à se payer de mots ; néanmoins, il est juste d’excuser quelque faute de mesure dans le trouble de la douleur sincère.

Un genre de consolation qui apparaîtra malsain sans conteste, c’est celui que le poète est tenté de chercher parfois dans les aberrations du spiritisme, sur les traces de Schopenhauer ou de du Prel ; et son biographe nous confirme qu’il s’est en effet intéressé quelque temps à ces spéculations hasardées. Voici la singulière Fête funèbre par laquelle l’époux, demeuré seul, s’efforce un jour à retrouver les douceurs de la vie commune : une couleur antique, assez heureusement reproduite, laisse, il est vrai, jusqu’à un certain point, à cette pièce, l’aspect d’une fantaisie littéraire :


Allons, debout, pour cette fête maternelle. Venez, enfans, faisons ce qui convient à nous-mêmes et à la chère défunte : c’est aujourd’hui son anniversaire de naissance. Selon les rites, pieux, en beauté et en vérité, convoquons-la au milieu de notre assemblée intime.

Placez son siège là où il était d’ordinaire, avant que la clarté de son regard ne fût éteinte. Apportez son plat favori, remplissez l’assiette, et posez sur la table son verre plein d’un muscat doré.

Debout ! concentrant tous vos sens, comme fait une sentinelle vigilante, soumettez le tombeau et la nuit à l’ardeur sacrée de votre vouloir. Ainsi que l’appel du ramier ramène sur le pin sa colombe, que la puissance de notre charme magique attire ici celle que nous attendons.

Hélas ! elle n’apparaît pas encore. Cependant ne nous séparons pas avant d’avoir assouvi nos regards de la douceur de son aspect ; sans doute, nous ne sommes pas jusqu’ici assez forts de notre enthousiasme, pour l’arracher au tombeau vaincu.

Demeurez donc fermes, sans hésitation, en pleine conscience, avec une seule pensée dans votre âme, celle de l’attirer en notre cercle, laissez s’élever hautes et claires les flammes sacrées de l’aspiration. L’âme absente ne peut longtemps résister à l’ordre divin qui émane d’une telle insistance. Sans volonté, sans défense, sans libre arbitre, elle se dresse soudain comme un brouillard bleuâtre au milieu de la salle.

Mère, mère, murmurent nos lèvres à la ronde. Nous voyons ses lèvres s’approcher de son verre. Elle verse sur nous les délices à la fois chaudes et glacées de ce revoir, jusqu’à ce qu’elle nous échappe, en se dissolvant dans l’air léger.


Dangereux plaisirs, peu dignes en somme d’une mémoire vénérée et bénie. Mais la superstition est l’un des écueils du mysticisme ; et, si nous ajoutons foi au dire de son historien bénévole, Christian Wagner lui ferait bien d’autres concessions encore. Il croit, nous l’avons dit, à des démons vengeurs, mais