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la voie de la perfection, en appliquant les principes dont on découvre si nettement les germes chez les penseurs que nous examinons ? Et sans doute, ces principes trouveront quelque jour des apôtres dans la société de l’avenir. Nous le prévoyons pourtant dès aujourd’hui : le code futur qui reconnaîtra le droit des animaux au plein exercice de leurs dispositions naturelles, soulèvera quelques difficultés dans son application. Une objection souvent présentée aux apôtres de la société collectiviste c’est que les diligens y travailleront pour les paresseux, les hommes de bonne volonté pour les mauvaises têtes, qui les premiers s’en apercevront vite et risqueront fort de se décourager. Or, à l’exemple de Christian Wagner protégeant les araignées de son jardin contre le talon de la sarcleuse, son biographe, si sévère aux cruautés de nos Nemrods, a des trésors d’indulgence pour les méfaits des bêtes de proie.

« Si, dit-il en propres termes avec indignation, un animal carnassier, contraint d’obéir à son instinct, offense à l’occasion le droit sacro-saint de la propriété, si un oiseau de proie, par exemple, s’avise d’enlever un chevreau ou un lièvre, l’extermination de sa race semblera permise, et sera même conseillée par mesure de police. Tout vaurien désireux de toucher une prime pourra fusiller dans les airs l’oiseau majestueux, tandis que, au fond de leur aire, les aiglons privés de leurs parens mourront de faim... Et un jour viendra que nul aigle royal ne traversera plus l’espace, les ailes toutes grandes ; on ne le connaîtra dès lors que par les livres et les écussons. »

Voilà qui est fort bien ! Mais que pensera le futur justiciable du code nouveau, qui aura épargné son coup de fusil à un lièvre, parce qu’il pourrait le blesser sans le tuer, ce qui est cruel, et que, après tout, il en sera quitte pour se contenter de légumes à la soupe du soir ; qui, quelques pas plus loin, laissera passer sans dommage un aigle à bonne portée, pour ne pas priver de leur père les pauvres aiglons affamés ; et qui, à deux cents mètres de là, verra l’aigle, en parfaite conformité avec le code, enlever le lièvre, lui crever les yeux, et l’emporter pantelant dans son aire. Si notre homme ne se permet pas quelques réflexions sur l’illogisme des lois existantes, c’est que son cœur sera bien profondément modifié par la pitié, par l’amour, je n’ose ajouter par la raison. Les citoyens hommes prêteront alors volontiers l’oreille aux suggestions de quelque Nietzsche de l’avenir, et pétitionneront