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de leurs instincts cruels. La seule image du bon Pasteur, tracée aux murailles des temples, ou encore la crèche de Bethléem avec le bœuf et l’âne, ne sont-elles pas un enseignement de charité et de mansuétude ? Enfin, tout récemment, une main pieuse a réuni les textes sans nombre par lesquels l’Eglise établit sur ce point sa doctrine[1]. Peut-être les interprètes de la Bible et de l’Evangile, émancipant l’homme des liens de la matière, et l’invitant à se retirer en lui-même afin de puiser dans la conscience de sa valeur éminente parmi les créatures le sentiment de sa dignité morale, ont-ils parfois poursuivi, au prix d’une rigueur apparente envers l’animal, un avantage certain pour l’humanité ? Mais remarquez-le bien, la distinction si tranchée établie par la scolastique et le thomisme entre l’homme et la bête, plus tard les excès de Descartes et de Malebranche, refusant à l’animal jusqu’à la possibilité de souffrir, sont d’origine plutôt classique que chrétienne. Les penseurs de la Grèce, Platon et Aristote en tête, ont, par leur dualisme tranchant, et leur anthropocentrie trop exclusive, créé l’état d’esprit que certains auteurs chrétiens ont emprunté à leur enseignement. J’ajoute enfin que, si la théorie des rapports entre l’homme et l’animal a pu recevoir des interprétations diverses dans le sein du christianisme, la pratique y fut presque constamment favorable à la douceur et à la modération.

— Quoi qu’il en soit, poursuivit mon ami, les droits des animaux offrent un problème qui préoccupe sérieusement nos contemporains. Nous allons examiner, si vous le voulez bien, les opinions de quelques-uns d’entre eux, choisis parmi les plus cultivés, parmi ceux qui ont pris nettement position dans le débat. Comme avocat intransigeant du droit des animaux, nous ne saurions trouver mieux que M. Weltrich, Fauteur de cette biographie de Christian Wagner que je vous ai remise avec les œuvres du poète, et qui doit certainement son origine à la sympathie inspirée au critique bavarois par les vues si exceptionnelles du paysan souabe sur les rapports entre l’homme et la bête. Ce bouillant champion des animaux a en effet profité de l’occasion qui lui était offerte pour insérer dans son livre tout un réquisitoire contre leurs ennemis : il en est même un chapitre qui semble une brochure de propagande, primée par quelque Société protectrice.

  1. L’Église et la pitié envers les animaux, textes puisés à des sources pieuses, sous la direction de la marquise de Rambures. Paris, 1899, Lecoffre.