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qu’elle avait fait admettre à Saint-Cyr, et elle eut la satisfaction de lui voir donner le voile blanc par une des filles de Louis XV. Ainsi s’écoulait cette vie dans une retraite digne et paisible, quand elle fut inopinément troublée par les publications indiscrètes de La Beaumelle sur Mme de Maintenon, dont la première date de 1752, par la certitude qu’elle acquit alors que le manuscrit de ses Souvenirs avait été communiqué en dehors d’elle à l’audacieux publiciste, et par la tentative qu’elle fit pour ravoir ce manuscrit en le faisant saisir. Mais il n’entre pas dans le cadre restreint de cette étude de raconter une querelle dont le récit, dû à une plume meilleure que la mienne, trouvera sa place en tête de la publication de ses Souvenirs et sera appuyée par quelques lettres où ce huguenot de La Beaumelle parle assez irrévérencieusement « de la dévote Mlle d’Aumale. » Ce fut vraisemblablement pour répondre à la publication de La Beaumelle qu’elle entreprit une seconde version de ses Souvenirs, au cours de laquelle elle fut surprise par la mort. Elle succomba à Vergie, entre un frère et un neveu, tous deux anciens officiers, avec lesquels elle vivait, au mois de décembre 1756, à l’âge de soixante-treize ans.

J’ignore si j’aurai réussi à faire partager au lecteur l’intérêt que m’a paru mériter cette aimable, judicieuse et spirituelle personne. Mais, avant de la quitter, il ne m’est pas possible de retenir une réflexion. Cette vie de femme, malgré le cadre brillant de ses débuts, s’est écoulée et terminée toute en dedans et en soi, sans recherche de la renommée ni du bruit. Mlle d’Aumale n’a point succombé à la tentation de tirer de ses dons d’écrivain, dont on pourra juger, un légitime profit, et pourtant elle a pu déjà connaître cette tentation, car, au XVIIe, et surtout au XVIIIe siècle, dont elle a vu la moitié, il y avait, non pas seulement des grandes dames comme Mme de La Fayette, se divertissant à écrire en cachette, mais des femmes de lettres, tirant de leur plume gloire ou profit. Mlle d’Aumale n’a point suivi cette voie. Elle s’est consacrée tout entière à une autre femme qu’elle considérait comme sa bienfaitrice : elle a vécu dans sa lumière, et, le foyer éteint, elle est rentrée volontairement dans l’ombre. Les Souvenirs qu’elle avait écrits devaient, dans sa pensée, demeurer enfouis à Saint-Cyr. Cependant son nom a échappé à l’oubli complet auquel il paraissait voué. Il était déjà familier à ceux qui connaissent bien leur XVIIe siècle, mais peu connu du grand public. Voici