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jouer Esther devant lui, par morceaux détachés. D’autres fois, nous chantons sans accompagnement, quelquefois avec la basse de viole et la flûte. » Mme de Maintenon trouvait-elle ce divertissement encore trop profane, cela est possible, car, quelque temps après. Mlle d’Aumale écrit encore : « Le Roi se porte parfaitement bien, et moi, indigne, j’eus l’honneur de psalmodier et de chanter hier au soir les vêpres de Saint-Cyr, Sa Majesté disant le verset alternativement, et Madame lui dit que c’était Mme du Pérou qui avait établi cette belle psalmodie. » Louis XIV psalmodiant les vêpres avec la secrétaire de Mme de Maintenon, c’est un trait qui a échappé à Saint-Simon.

Mlle d’Aumale servait encore à Mme de Maintenon pour une autre fin. Louis XIV avait le goût de la jeunesse et de l’enfance. Il avait été tendre père, trop tendre même pour ses bâtards, bien que, suivant la forte expression de Mme de Maintenon, « il n’eût pas grand ragoût autour de lui. » Ce fut par cette prédilection instinctive autant que par sa bonne grâce et sa gentillesse personnelle que la Duchesse de Bourgogne le captiva. Mme de Maintenon savait ce qu’elle faisait en cherchant, par une complaisance poussée jusqu’à la faiblesse, à se faire aimer de l’aimable enfant et à l’avoir le plus souvent possible auprès d’elle. D’ailleurs, elle cédait aussi à son instinct, car elle aimait les enfans, et les enfans, qui ne se trompent pas à qui les aime, l’aimaient également. « Elle a toujours fort aimé les enfans, dit Mlle d’Aumale dans ses Souvenirs, et, à les voir dans leur naturel, et les enfans sentaient si fort cette bonté qu’ils étaient plus libres avec elle qu’avec personne. » Aussi choisissait-elle souvent parmi les élèves de Saint-Cyr une enfant qu’elle élevait dans sa chambre, sous ses yeux, et dont la société donnait satisfaction à son instinct maternel. « Vous savez, écrivait-elle, âgée déjà de quatre-vingts ans, à Mme de Caylus, que j’ai le malheur de connaître les sentimens des mères. » C’est ainsi qu’elle eut successivement auprès d’elle Mlle de Breuillac, dont on sait peu de chose, et une petite de la Tour qu’en mourant elle recommandait à toute la communauté. Mais il fallait quelqu’un pour veiller sur ces enfans. Cette tâche incombait à Mlle d’Aumale, et nous les voyons l’une après l’autre défiler dans ses lettres, entre autres cette Jeannette de Pincré, dont, grâce à Saint-Simon, le nom est arrivé jusqu’à l’histoire et mérite de retenir un instant.

Un hasard fit sa fortune « Un jour, racontent les dames de