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occupé de Mme de Maintenon qui n’ait cité quelque passage de ces entretiens, et c’est ainsi que le souci d’une supérieure pour l’âme d’une religieuse a fourni des documens à l’histoire. Dans ses exhortations, et alors surtout qu’elle en tire le sujet de son expérience, Mme de Maintenon s’élève parfois jusqu’à l’éloquence. Ainsi fait-elle dans cette lettre célèbre que Louis Racine a publiée pour la première fois et dont Voltaire a cité quelques lignes : « Que ne puis-je, lui écrit-elle, vous donner mon expérience ! Que ne puis-je vous faire voir l’ennui qui dévore les grands et la peine qu’ils ont à remplir leur journée ! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu’on aurait peine à imaginer et qu’il n’y a que le secours de Dieu qui m’empêche d’y succomber. J’ai été jeune et jolie. J’ai goûté des plaisirs ; j’ai été aimée partout ; dans un âge plus avancé, j’ai passé des années dans le commerce de l’esprit. Je suis venue à la faveur, et je vous proteste, ma chère fille, que tous ces états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose, parce qu’en tout cela rien ne se fait entièrement. On n’est en repos que quand on s’est donné à Dieu. »

On sent que Mme de Maintenon s’est nourrie de saint Augustin. Credo ego generosum animum, præter in Deum, ubi finis est noster, nusquam requiescere, dit quelque part le Saint dans un passage que Pétrarque a donné comme épigraphe à son traité De Vita solitaria. Tant de soins ne furent pas perdus. Elle eut la joie de voir l’âme généreuse de Madeleine de Glapion s’acheminer peu à peu vers ce but divin qu’elle lui montrait. On le devine à ce que les lettres d’exhortation qu’elle lui adresse deviennent de plus en plus rares. Un des derniers conseils qu’elle lui donne est celui-ci : « Un saint me mandait : Soyez homme dans votre piété. Je vous le dis : Soyez homme. La grossièreté, et un peu de dureté (on sait que Mme de Maintenon faisait peu de cas de la sensibilité des hommes), seraient une excellente pratique pour vous. » Mme de Glapion ne devint ni grossière ni dure ; elle devint seulement plus ferme dans sa vocation et dans sa piété. Elle inspira une confiance de plus en plus grande à la communauté dont elle était assurément le sujet non pas le plus sage, mais le plus brillant. Aussi Mme de Maintenon eut-elle, trois ans avant sa mort, la joie de la voir nommer supérieure. La fondatrice de Saint-Cyr pouvait s’en aller sans inquiétude sur l’avenir