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pour que les profanes en pussent faire leur profit. Mais, prévoyant que cette nature ardente pourrait tomber dans un autre excès, elle la met également en garde contre les exagérations d’un mysticisme qui lui ferait négliger les obligations de son état : « ma chère fille, s’écrie-t-elle, aimez la pratique et la présence de Dieu ; c’est un remède à bien des maux, qui nous est nécessaire à toutes, mais ne croyez pas que ce soit une présence de Dieu sensible et goûtée qu’on ne peut garder qu’ayant les deux genoux en terre. Il y a une autre présence de Dieu à laquelle il faut qu’une dame de Saint-Louis s’accoutume, qui est de travailler pour Dieu, de se dissiper pour Dieu, si l’on ose parler ainsi, du moins en apparence, mais tâchant de faire sentir à son cœur, au plus fort de son travail, que c’est pour Dieu qu’il le fait. »

Dans un second avis qu’il y aurait avantage à faire lire à toutes les jeunes filles qui se croient la vocation, elle lui développe encore tous les devoirs de la vie religieuse d’une manière qui n’était guère faite pour l’attirer, La novice persévéra cependant et fit profession au mois de novembre 1695, à l’âge de vingt et un ans. Mais ce qu’on sait d’elle permet de deviner qu’elle ne fut guère heureuse au couvent. Parfois on la surprenait, attachant par-dessus les murs de cette clôture qu’elle avait juré de ne pas franchir, un long regard sur ce monde auquel elle avait renoncé. Il est vrai qu’avec sa nature passionnée, elle n’aurait été guère plus heureuse dans le monde. Inquiète, agitée, dévorée tout à la fois de scrupules et de désirs, elle avait une sorte d’attrait maladif pour tout ce qui était tristesse. Son imagination, pour emprunter une expression à Fénelon, était toute tendue de deuil, et l’on disait à Saint-Cyr qu’elle avait l’air d’une âme du purgatoire : « Vous buvez à longs traits les choses mélancoliques, » lui écrivait Mme de Maintenon, et ce n’était presque point une métaphore. Fréquemment employée à l’infirmerie, car elle avait un don particulier pour le soin des malades, elle s’attachait d’autant plus passionnément aux religieuses ou aux demoiselles qu’elle les voyait dans un danger plus grand. De chaque mourante, et il y en avait fréquemment, elle se faisait une amie, assistait à son agonie lors même que ses soins étaient devenus inutiles, et, lorsque la mort survenait, elle s’abandonnait à tous les éclats du désespoir. Ainsi elle ne cessait « de s’abîmer dans les créatures, » et il fallut la retirer de l’infirmerie, pour la remettre