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grand nombre des chrétiens fait consister la piété en pratiques extérieures, confessions, communions de temps en temps, long séjour dans les églises, observances des fêtes et jeûnes ; mais, dans tout le reste : oubli de Dieu, colères, haines, vengeances, mensonges, avarice, parjure, immodestie, chansons libres, etc. » Quand on lui demandait en quoi consistait, au contraire, la piété droite, elle répondait : « La piété droite est celle qui nous attache aux devoirs de notre état... Votre piété ne sera pas droite si, étant mariées, vous abandonnez votre mari, vos enfans et votre petit domestique pour aller dans les églises, dans les temples, où vous n’êtes pas obligées d’y aller. Quand une fille dira qu’une femme fait mieux de bien élever ses enfans et d’instruire ses domestiques que de passer la matinée à l’église, on s’accommodera de cette religion ; elle la fera aimer et respecter. »

Cette question du mariage la préoccupait beaucoup. Elle raille volontiers les pruderies de couvent, et elle s’élève avec indignation contre la difficulté que faisaient certaines jeunes filles à prononcer le mot de mariage : « Quoi, s’écriait-elle, un sacrement institué par Jésus-Christ, qu’il a honoré de sa présence, dont ses apôtres détaillent les obligations, et qu’il faut apprendre à vos filles, ne pourra pas être nommé ! Voilà ce qui tourne en ridicule l’éducation des couvens. Il y a bien plus d’immodestie à toutes ces façons-là qu’il n’y en a à parler sur ce qui est innocent et dont tous les livres de piété sont remplis. » Et elle ajoutait, avec cette vue un peu triste des choses que lui donnait son expérience de la vie : « Quand elles auront passé par le mariage, elles verront qu’il n’y a pas de quoi rire. Il faut les accoutumer à en parler sérieusement et même tristement, car je crois que c’est l’état où l’on éprouve le plus de tribulations, même dans les meilleurs. »

Enfin, sans me laisser entraîner à parler de ses procédés d’éducation morale, je ne peux cependant résister au désir de citer ce morceau d’une observation si fine, d’une portée si générale : « Vous devez inspirer à vos demoiselles, disait-elle aux dames de Saint-Louis, l’amour de leur réputation ; il faut qu’elles y soient délicates. Comptez que les meilleures de vos filles sont celles qui paroissent le plus glorieuses, je ne dis pas d’une sotte gloire qui aille à disputer le pas à quelqu’un et à se vanter de sa qualité, mais d’une certaine gloire qui rend jalouse de sa réputation, qui fait craindre d’être trouvée enfant, qui rend sensible