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déjà dû éprouver ? Quoi qu’il en soit, M. le président du Conseil s’est refusé avec fermeté à communiquer le document à la commission du budget ; mais il a laissé entendre, sans le dire positivement, qu’il aurait moins de réserve à l’égard de la commission qui serait ultérieurement chargée de la répartition des indemnités. Peut-être l’a-t-on mal compris ; peut-être a-t-il voulu se tirer d’affaire par une équivoque ; il est clair, en tout cas, qu’il y aurait le même inconvénient à livrer la pièce à l’une ou à l’autre commission. Mais enfin, de quoi s’agit-il dans ce rapport, dont la confidence est aujourd’hui plus ou moins tombée dans le domaine public ? M. le général Voyron, en racontant les scènes de pillage qui ont eu lieu après la prise de Pékin, y attribue un rôle à quelques missionnaires. Ces choses-là sont très pénibles lorsqu’on les lit de sang-froid, longtemps après les événemens et à des milliers de lieues de l’endroit où elles ont eu lieu. Sans doute, on doit toujours les condamner ; mais, pour être équitables, lorsqu’on les juge, il faut se replacer dans les circonstances où elles ont été commises. Qu’après les horreurs du siège de Pékin il y ait eu, au moment où les Européens ont été libérés, une explosion de colère et de fureur, et qu’elle ait pris des formes dont quelques-unes sont regrettables, c’est possible : l’histoire de presque toutes les guerres en fournit des exemples dont quelques-uns font frémir. Les rapports du général Voyron disent que nos troupes ont été plus réservées que les autres, et nous en sommes bien aises. Mais enfin elles ont pu subir, elles aussi, quelques-uns des entraînemens auxquels personne ne résistait autour d’elles. Aucun de ceux qui s’indignent à Paris de ce qui s’est passé à Pékin ne sait ce qu’il aurait fait s’il avait été à Pékin au lieu d’être à Paris, et s’il y avait subi les longues angoisses du siège. Si quelques missionnaires se sont laissé entraîner par l’exemple général, c’est qu’ils sont des hommes. Mais combien y en a-t-il eu ? Un très petit nombre, disent les journaux, deux peut-être, et ils ont été aussitôt désavoués. On a exagéré la portée morale de certains actes pour y associer ensuite la responsabilité des missionnaires, et les englober tous dans une même réprobation. Cette fois encore, M. le président du Conseil a été bien inspiré lorsqu’il a dit : « Je me demande quel est, en vérité, ce mal étrange et pernicieux qui nous rend si enclins à tourner contre nous-mêmes, et sans cesse, tous les efforts de notre censure la plus amère, de nos critiques les plus cruelles ; qui nous amène, semble-t-il, à souhaiter comme une victoire la conquête de quelques documens d’où pourrait résulter la preuve que nous avons manqué aux lois de l’humanité, à concevoir je