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qu’elle exerce sur eux, la légation française à Pékin est généralement la mieux informée et la première avertie : et ce sont là entre ses mains des instrumens d’influence très efficaces, lorsqu’elle sait s’en servir. Un autre caractère des missions catholiques est que, grâce peut-être à une longue expérience et accoutumance, elles s’adaptent plus facilement que tous les autres groupes occidentaux aux habitudes et aux mœurs du pays. Aussi n’est-il pas vrai qu’elles provoquent d’ordinaire les sentimens d’hostilité et de haine dont parle M. Hubbard. Sans doute, les missionnaires ont commis et commettent encore des excès de zèle ; en les soutenant, il faut les avertir et les contenir ; ils participent de toutes les faiblesses de la nature humaine ; il leur arrive même quelquefois de faire un défaut de la qualité que nous leur avons reconnue, et de s’assimiler un peu trop aux mœurs du pays. Mais ils n’en ont pas moins accompli une œuvre immense, et ce n’est pas sans admiration qu’on songe à leur courage lorsqu’ils se sont enfoncés les premiers dans les ténèbres de la Chine, non moins qu’à la persévérance et à l’énergie qu’ils ont mises à les dissiper.

Quand M. Hubbard vient dire que ce sont les missionnaires, et eux seuls, qui ont été cause de l’explosion de fanatisme l’année dernière, il oublie toute l’histoire des rapports de l’Europe avec le Céleste-Empire pendant les années qui avaient précédé. Ces rapports n’avaient été rien moins que pacifiques : l’intervention militaire y avait eu une grande part, et il faut bien avouer que, si l’Allemagne y a joué la dernière un rôle particulièrement actif, la France y avait eu le sien à l’origine de tous ces événemens. Nous avons fait les premiers la guerre à la Chine, pour nous installer en Annam et au Tonkin. L’amertume qu’on en a ressentie à Pékin n’était pas encore oubliée lorsque a eu lieu la guerre japonaise, qui s’est si mal terminée pour le Fils du Ciel. Pendant ce temps, la Russie étendait son influence tout le long de sa frontière du Nord, et lui dérobait quelques parties de son territoire. Mais la blessure la plus sensible a été faite par l’Allemagne, et nous convenons qu’elle l’a faite à propos de deux missionnaires qui avaient été tués : en réparation, elle a pris toute une province. Ce n’est pas la France, assurément, qui aurait agi ainsi dans l’exercice de son protectorat : si elle l’avait fait, M. Hubbard aurait eu peut-être quelques droits de s’en plaindre. Il aurait pu dire que nous nous exposions pour des missionnaires à susciter de terribles mécontentemens et à de non moins redoutables représailles. Mais est-ce bien pour protéger ses missionnaires que l’Allemagne s’est emparée du Chantoung ? Non : elle a accompli un acte politique au