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triste et pur. Cela n’est pas très loin des meilleures pages de Werther. Sans hâte nerveuse et sans inutiles retards, coupée de silences émouvans et de réponses de violoncelle, la mélodie se déploie d’abord. Puis, avec un sursaut pathétique, elle monte, s’élance très haut, et lorsque de la tonique supérieure, doucement et sans toucher la tierce, mais la dominante seule, elle retombe sur la tonique d’en bas, sa chute est vraiment originale, belle de gravité, de grâce décente et de douleur.

Douloureuse également et fervente d’amour, la cantilène d’Alain s’élève dans le silence de la nuit. C’est encore une belle page que cette mélopée errante et pour ainsi dire éperdue, qui peu à peu se cristallise en un chant. Et voyez comme le sentiment, quand il est sincère, emporte et sauve tout. « Je suis l’oiseau, » chante — naturellement — le ténor. Mais cette fois la musique a des ailes. Une harpe, — après tant d’autres, — égrène ses accords, mais elle n’est pas déplacée ici, et, sous le ciel et près de la mer de Provence, on dirait le luth d’un trouvère accompagnant une tendre et plaintive chanson. Que dis-je ? plus que plaintive et tendre, car la voix prend ici l’accent de la passion, même du désespoir. On reproche assez souvent à la musique de M. Massenet de n’être que caressante. Il est juste de reconnaître que parfois elle sait déchirer aussi.

Mais, dans toute la partition, rien ne vaut le commencement du prologue, et c’est à dessein que nous avons réservé, pour finir par là, cet exorde éclatant. Avec une franchise, une soudaineté qui saisit, la musique, du premier coup, nous jette in medias res, et même in summas, le début de l’ouvrage en étant, je crois bien, le sommet. A la lisière, ou plutôt au cœur d’une forêt, car un pittoresque et délicieux décor nous place au milieu même des arbres, Alain attend Grisélidis et l’appelle. Ici le mot fameux d’Amiel se vérifie. Le paysage et l’état d’âme sont également représentés et s’accordent ensemble. On entend résonner sous bois quelques notes errantes du cor. Plus agile et pourtant mystérieuse, une clarinette leur répond. Çà et là des trilles de violons font à travers la feuillée des taches dansantes de lumière. Et, brusquement, de la pastorale et sylvestre symphonie, jaillit une invocation qui frémit de jeunesse, de joie et d’amour.


Ouvrez-vous sur mon front, portes du paradis !


L’image poétique : des portes qui s’ouvrent sur un front, a quelque chose qui heurte un peu. Mais la figure musicale est admirable en tout. La phrase d’abord « part » bien ; et puis elle porte loin, car elle