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le plus de mouvement, car l’esprit musical ne se conçoit guère sans la rapidité. Quelquefois pourtant il s’en passe, témoin l’entr’acte cité précédemment et l’air qui le suit : deux morceaux dont le mouvement est calme, où l’esprit est fait de nonchalance et de paresseuse bonhomie.

L’esprit, enfin, n’est pas seulement le comique. Il est encore le sens délicat des nuances et des rapports subtils entre les choses. A cet égard, le petit trio du diable, de sa femme et de Grisélidis, au second acte, est un épisode charmant. Le faux marchand d’esclaves et l’esclave supposée débitent leur imposture sur un motif de menuet en mineur, où tinte parfois, alla turca, une discrète cymbale. Les voix, traçant d’élégantes arabesques, se suivent ou se croisent gracieusement. Dans celles du couple patelin et perfide, on sent l’ironie et la malice ; la mélancolie et l’inquiétude, en celle de Grisélidis. « Vous qui venez de l’Orient, leur dit-elle, venez-vous des pays où l’on se bat, des pays où l’on meurt ? » Comme ils se récrient : « Alors vous n’avez pas rencontré mon époux. » La réplique est délicieuse de promptitude, d’orgueil et de tendresse. Et toute la scène se déroule ainsi, comme en suspens, également près d’un sourire contenu et d’une larme furtive, et c’est encore de l’esprit, et du plus fin, que l’incertitude ou le partage de la musique entre ces deux aspects, entre ces deux modes légers.

Si nous passons maintenant au sentiment, il faut reconnaître qu’il est en cet ouvrage de plus d’une qualité : de la meilleure, et de l’autre. L’amour conjugal, paternel, maternel et divin inspire à Grisélidis, à son mari plus encore, et souvent à tous les deux ensemble, un nombre incalculable de romances et d’oraisons. Dès le prologue, après les mystiques accordailles, un Alléluia dans la coulisse, imité de Berlioz (Le repos de la Sainte Famille), met comme un nimbe sonore autour du front des fiancés. Au premier acte, le mari ne chante pas moins de deux ariosos en l’honneur de sa femme ; le père en soupire un troisième pour prendre congé de son fils et le bénir. Au second acte, une prière de Grisélidis provoque, dans la coulisse encore, l’inévitable Angélus et la réponse d’un lointain Ave Maria. Enfin le troisième acte n’est qu’une série de complaintes alternant avec des cantiques, une collection, en partie double, de vignettes sentimentales et d’images de sainteté. Le sujet et surtout le style du poème y sont peut-être pour quelque chose. Pendant ces trois actes il n’est question que des ruisseaux et des fleurs, des anges et surtout des petits oiseaux. Parlant ici même des opéras de Quinault, M. Brunetière a rappelé dernièrement que, « tandis que pour rendre la force des passions de l’amour,