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femme. Il la présente à Grisélidis comme une esclave achetée en Orient qui vient réclamer au foyer la place déjà prise dans le cœur de l’oublieux époux. Grisélidis accepte l’outrage et se soumet. Alors Satan fait paraître à ses yeux, à ses beaux yeux mouillés de quelques larmes, cet Alain qui l’aima naguère et n’osa jamais le lui dire. Il le lui dit ce soir, elle l’écoute, et le diable croit sa gageure gagnée. Un enfant la lui fait perdre : le petit Loys, qui survient à propos et sauve l’honneur maternel.

Le pauvret en est bien puni, car aussitôt le diable l’emporte. Et Satan, se déguisant encore une fois (c’est la troisième épreuve et le dernier acte), vient conter à Grisélidis qu’un pirate a volé son enfant et ne demande, pour le lui rendre, qu’un baiser.

Ce n’est pas un baiser qu’il faudra, c’est un miracle. Il ne tarde pas à s’accomplir. Le mari, revenu sur ces entrefaites, s’explique avec sa femme, qui s’explique avec lui. Fidèles tous les deux, mais tous les deux affligés, ils s’agenouillent, prient ensemble, et le ciel, vainqueur de l’enfer, remet Loys entre leurs mains plus que jamais étroitement unies.

Il y a dans la musique de Grisélidis de l’esprit, un peu de sentiment, voire de passion, et beaucoup de sentimentalité.

Oui, même de l’esprit. Cet esprit, il est vrai, parait moins à la représentation qu’à la lecture. Je me trompe : il parait trop, et mille détails de musique pure sont grossis par l’optique de la scène, gâtés par les grimaces et les contorsions que comporte la figuration matérielle du diable, et d’un diable bon enfant. Le personnage musical n’est pourtant pas mal venu. Il n’a qu’une seule fois le tort de vouloir faire le Méphistophélès : d’où résulte, sous prétexte d’incantation aux fleurs, une valse lente et chantée, avec chœurs, la plus agréable, mais la moins diabolique du monde ! Le reste du rôle a des qualités de verve et de joie légère. L’ « Entracte-Idylle » qui précède le second tableau porte cette indication : « Avec charme et gaieté, » et la justifie. Il serait intéressant, — et nous le tenterons peut-être un jour, — de définir et d’analyser l’esprit en musique. S’il consiste, comme ailleurs, dans la rencontre et le choc imprévu de certains élémens de la pensée (ici des mélodies et des notes), il y a de l’esprit dans l’air du diable au premier acte, ne fût-ce que dans une suite rapide de trois appogiatures, montantes et mordantes à la fois. Ainsi l’esprit en musique peut être harmonie.

Il est encore et surtout mélodie, et les passages les plus spirituels de Grisélidis ont aussi le plus de netteté mélodique. Ils ont également