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Le caractère le plus surprenant de ces rayons c’est, au premier abord, leur puissance de pénétration. Ils passent au travers d’un volume de mille pages, comme un rayon de lumière au travers d’une vitre. Ce sont, dans les deux cas, des prouesses de même nature ; et si le dernier fait ne nous étonne plus, c’est que « l’habitude des choses, comme dit Montaigne, nous en ôte l’étrangeté. » Notre surprise naît de ce qu’un nouveau venu fasse ce qui est impossible à notre vieil agent lumineux. Nous n’avons pas été moins surpris d’apprendre, Jadis, que les rayons ultra-violets du spectre solaire traversaient une l’âme d’argent ; ce qui, par parenthèse, a rendu possible pour la première fois la photographie de l’invisible. Ce qui est permis à une radiation est donc interdit à une autre. Le rayon de Röntgen, qui traverse un panneau de chêne de deux pouces et une plaque d’aluminium épaisse de plus d’un centimètre, est arrêté par quelques mètres d’air atmosphérique dont le parcours n’est qu’un jeu pour le rayon de lumière.

Il y a entre le rayon de Röntgen et le rayon lumineux une autre différence, quant à la manière dont ils se comportent au sein de la matière. Ils peuvent être absorbés, au fur et à mesure qu’ils cheminent : ils sont alors dénaturés, anéantis : leur énergie est transformée en quelque autre, par exemple en chaleur. C’est une manière de finir qui leur est commune. Mais la lumière en a une autre qui lui est propre. Dans certains corps, à structure grenue, tels que le verre dépoli, la poudre de cristal, la lumière se diffuse : le trajet des rayons est brisé par des réflexions et des réfractions nombreuses. Chaque particule se comporte alors comme une source lumineuse émettant un rayonnement dans toutes les directions et le corps s’illumine. Il ne servirait à rien de forcer l’intensité du faisceau lumineux incident, dans l’espoir de le voir transiter : on ne réussirait qu’à augmenter l’éclairement.

Rien de pareil avec le rayon de Röntgen : il ne se perd que par absorption ; en forçant l’intensité de la radiation, on le verra gagner toujours, et de plus en plus, en puissance de pénétration. Il ne diffuse point. Il poursuit son trajet, rigide, inflexible, affaibli sans doute, mais jamais dévié par aucun obstacle. Ce n’est point le rayon de lumière que l’on devrait prendre comme le type et le symbole de la rectitude idéale ; c’est le rayon de Röntgen.