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profondes dans le cœur ; volontaire et vindicative quand on la contrarie, avec une absence de discernement qui lui fait sacrifier à des rancunes de boudoir les meilleurs serviteurs du Roi, immoler un Turgot à un de Guines. Ses fantaisies et sa faiblesse pour des amies rapaces ruinent le trésor : il est trop vrai que la pure Marie-Antoinette a coûté à la France plus cher que toutes les maîtresses de Louis XIV, plus cher que la Du Barry, presque autant que la Pompadour. — « Le gouvernement présent surpasse en désordre et en rapines celui du règne passé, » écrit Mercy : et ce n’est plus le Roi qui est le coupable.

Je sais bien quelles sont les excuses de cette jeune femme, longtemps négligée par le plus gauche, le plus docile et le moins séduisant des maris, isolée dans cette cour étrangère sans un appui moral, sans une affection vraie, exposée à mille embûches, offensée par les plus noires calomnies. On comprend qu’elle cherche à s’étourdir dans toutes les dissipations, puis à se blottir dans la tiède atmosphère de quelques amitiés, et qu’elle y soit sans force contre les rares personnes qui paraissent l’aimer. On peut excuser ses erreurs de conduite : mais c’est défier le bon sens que de lui en faire un piédestal.

Comme il arrive toujours, la voix publique les lui reproche au moment où elle s’en corrige. Assagie par la maternité, grandie dans les épreuves du trône, elle y acquiert du tact, de la prudence ; il semble qu’elle ait gardé une juste mesure dans son court et impossible rôle de reine constitutionnelle. Elle regagne notre respect à mesure qu’elle perd celui de ses sujets. Viennent les heures tragiques, la fille de Marie-Thérèse apparaîtra superbe de dignité calme et d’héroïsme : au Dix Août, comme on l’a dit, il n’y a qu’un homme aux Tuileries, et c’est la Reine. Nous lui rendons notre admiration sans réserves dans le temps qu’on l’insulte à Bruxelles comme à Paris. Au Temple et à la Conciergerie, entre ces murailles que viennent battre les colères égarées du patriotisme, son dernier portrait témoigne d’une transfiguration qu’on ne peut mieux définir que par sa propre parole, si belle : « Je vais recevoir un grand sacrement. » Et quand ses tristes restes vont se confondre, dans le charnier de la Madeleine, avec les os des victimes écrasées au jour de son mariage, nos larmes ont absous des dilapidations et des folies qui finissent avec ce dernier compte :

La veuve Capet, pour la bierre, — 6 livres.