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qui n’en étaient point. Mais le peuple lui restait fidèle : Paris en témoigna par ses ovations, après la naissance du premier Dauphin. Peu à peu, les insinuations parties de ce qu’il y avait de plus haut dans Versailles firent leur chemin dans les esprits ; les préventions défavorables naquirent, s’accrurent lorsque le public fut instruit des prodigalités de la Reine ; elles éclatèrent après le scandale mal expliqué du Collier. Au grief qu’on lui faisait d’être l’auteur de la ruine publique, l’ombrageuse passion des réformateurs ajouta le reproche de tendances rétrogrades ; quand les suspicions patriotiques s’alarmèrent des prétendues trahisons de « l’Autrichienne, » l’aversion devint extrême, universelle. Les rares mains qui applaudissaient encore le Roi, lorsqu’il se produisait dans Paris, retombaient glacées au passage de la Reine. Les cœurs se cuirassèrent contre elle d’une telle haine que son martyre même ne les désarma pas : nous avons peine à le croire aujourd’hui ; mais, en dehors de quelques fidèles, personne ne fut touché. Et les plus hostiles à la Reine n’étaient pas les habitués du Club des Jacobins. En 1791, au dire d’Augeard, la noblesse française réfugiée à Bruxelles « déchire » Marie-Antoinette « de la manière la plus indécente. »

Réaction aussi injuste que le premier engoûment fut excessif. La vérité sur la Dauphine, sur la Reine, n’est ni dans les attendrissemens d’une Mme Campan, ni dans les méchancetés des calomniateurs : elle est dans la copieuse correspondance de Mercy. Vigilant comme eût pu l’être l’œil même de Marie-Thérèse, avec une exactitude tempérée d’indulgence, le vieux diplomate nous fait connaître jour par jour la vie qu’il a charge d’observer. C’est, à parler franc, la vie d’un joli oiseau sans cervelle. Frivole, « enivrée de dissipation, » ignorante et refusant de s’instruire, Marie-Antoinette a mis toute son âme d’alors dans son village de Trianon. N’en déplaise à la fausse sentimentalité qui a poétisé cette boîte de joujoux, nous y prenons une pauvre idée de la femme pour qui toute la conception de l’art et du plaisir tenait dans ces mignardises, ces bergeries et ces meuneries de poupée, ce mièvre cadre de dînettes, d’amusettes, de passionnettes. L’incapacité où elle fut longtemps de s’appliquer à une affaire et de la comprendre est sa meilleure défense contre les accusations qui faisaient d’elle un agent de la politique autrichienne. Mercy regrette assez qu’elle n’en ait-pas l’étoffe ! Bonne, sans doute, mais d’une bonté blonde, à fleur de peau, sans racines