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politiques si vite vérifiées par les événemens, — guérisseur, charmeur, propagateur de la franc-maçonnerie dans le beau monde, par quelle force en imposait-il, d’où sortait-il, qui était-il ? Historiens et romanciers se sont acharnés sur le sphinx, nul ne lui a arraché tout son secret. — Le fils d’un juif palermitain, au dire de Goethe qui voyageait alors en Sicile. Il y a des lacunes et des obscurités dans le récit de Goethe. Même après l’enquête minutieuse de M. Frantz Funck-Brentano, l’ombre reste épaisse sur une vie qui replonge à chaque instant dans le mythe. Mais comment saurions-nous qui était Cagliostro, ce qu’il faisait en 1784 dans les loges du rite égyptien, alors que nous sommes si mal instruits de sa dernière incarnation, celle dont nous fûmes témoins ?

Car l’immortel Joseph Balsamo a reparu parmi nous ; cette fois avec un masque grave et scientifique, ajusté à la mode de notre temps. De nouveau, on l’a vu brasser les millions, peser sur les affaires d’Etat, séduire des personnages de haut rang, dérouter les princes de la science. Toujours armé de son pouvoir occulte, il avait même crédit dans les Bourses et dans les chancelleries, ces dernières l’honoraient de leurs distinctions les plus enviées ; il esclavageait les plus forts, il leur ordonnait de parler, et ils parlaient, de se taire, et ils se taisaient, de se tuer, et ils se tuaient. Ce ne sont point là des légendes, mais des faits ; et les plus surprenans de ces faits ne sont connus que des gens informés, de ceux qui fréquentèrent le comte de Cagliostro, ressuscité sous le nom du docteur Cornélius Herz. Il a vécu parmi nous, remuant les plus grandes machines, et nous ne savons ni comment il a vécu, ni comment il est mort. Étonnez-vous ensuite qu’il y ait des incertitudes sur le rôle qu’il joua jadis dans la désagrégation de l’ancien monde !

Ils sont beaucoup qui le désagrègent, ce monde malade, comme s’ils avaient commission de le précipiter dans la tombe. Tous conspirent à l’affolement de ses derniers jours. De partout se lèvent des Prométhées qui font « habiter dans l’âme des mortels les aveugles espérances. » Dans l’assemblée choisie où nous sommes, combien pourraient jurer qu’ils n’ont pas fait la chaîne magnétique autour du baquet de Mesmer ? Le siècle qui a ri de toutes choses ne prend plus au sérieux que les charlatans, les théosophes, les illuminés. Ceux-là s’engouent de Saint-Martin, ceux-ci de Swedenborg. On traduit le mystagogue suédois. J’ai sous les