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visage, dans le regard oblique, fuyant comme le front, ce front qui semble ravalé d’un coup de hache et qu’on retrouvera chez bon nombre des conventionnels ses collègues. Cette jeune figure souriante, au nez proéminent, c’est le Duc de Bourbon : on décrochera un jour le vieillard, pendu à l’espagnolette de sa fenêtre. Près de lui, le Duc d’Angoulême, déjà l’ombre insignifiante qu’il sera toujours : créature si chétive que le malheur ne daignera même pas lui donner un rôle dans les tragédies où vont figurer ses voisins. — Oh ! le joli enfant, sous son gilet rose et son habit vert tendre ! De grands yeux étonnés : est-ce donc qu’ils ont percé les plafonds, et surpris là-haut une vision de l’avenir ? Il y a là-haut un tableau qui représente un lit ensanglanté, une famille en larmes autour d’un homme frappé à mort, toute l’horreur de la nuit du 13 février 1820. Le joli enfant, c’est le petit Duc de Berry. Voyez-vous sur l’habit vert tendre la place où s’enfoncera le couteau de Louvel ? Le sceau des mauvais destins est encore plus visible sur cette autre tête enfantine, auréolée d’une grâce mélancolique, peinte à la manière de Greuze dans un ton gris de cendre : le Duc d’Enghien, attendu à Vincennes.

Mais vous cherchez parmi ses cousins l’enfant martyr, le petit dauphin que l’Europe nomma Louis XVII ? Il est à l’attique du Sud, d’où j’espère qu’on le rapportera dans l’appartement qui fut sien. Il y est sous la forme d’un buste de marbre, et le Musée ne possède point d’objet dont l’histoire soit plus émouvante. Ce buste, où le menton et le nez ont été recollés, fut précipité d’une fenêtre des Tuileries pendant le sac du Dix-Août. Un des assaillans du château, un cordonnier, le ramassa et le porta sur son établi ; pour assouvir sa haine contre la famille Capet, ce patriote imagina de marteler ses cuirs sur la petite tête de marbre ; les cicatrices dont elle est couverte proviennent des mutilations faites par le marteau de cet homme. Ainsi, tandis que l’enfant de chair et d’os était martyrisé par le cordonnier Simon, à la même heure, sans entente préalable, son image, — son double, comme eussent dit les vieux Egyptiens, — subissait les mêmes brutalités dans l’échoppe d’un autre savetier. En vérité, nos plus ingénieux dramaturges doivent s’avouer vaincus par la puissance qui compose l’histoire avec de tels rapprochemens. Un amateur retrouva le buste du Dauphin ; après de nombreuses pérégrinations, il a été acquis par le musée de Versailles ; plus heureux que le modèle, le voici revenu dans la maison natale ;