Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avions laissé le roi Louis XV posant devant Drouais, pour ce portrait où son regard atone s’emplit déjà de la vue du néant. La petite vérole l’a saisi à Trianon, il est revenu expirer au Château. — « Dès qu’il fut mort, chacun s’enfuit de Versailles. On se dépêcha d’enfermer le corps dans deux cercueils de plomb, qui ne continrent qu’imparfaitement la peste qui s’en exhalait ; quelques prêtres, dans la chapelle ardente, furent les seules victimes condamnées à ne pas abandonner les restes du roi... Le corps fut conduit deux jours après à Saint-Denis, et le convoi ressembla plus au transport d’un fardeau dont on est empressé de se défaire qu’aux derniers devoirs rendus à un monarque. » (Bezenval.) A la nuit close, convoyé par des palefreniers, le carrosse pestiféré fila grand train sur la route : la lueur des torches ameutait les curieux, ils se répandaient en injures et en brocards : cette litanie funèbre accompagna jusqu’à Saint-Denis la dépouille de Louis le Bien-Aimé.

Au Château, comme il appert des comptes des Bâtimens, on blanchit, on regratte au vif, on lessive « les pièces qui ont pu contracter du venin. » Lessive générale des lieux, des choses et des gens de l’autre règne. La Du Barry est exilée aux Bernardines de Pont-aux-Dames, on chasse toute sa séquelle, d’Aiguillon, Maupeou, Terray. L’honnêteté, la respectabilité redeviendraient-elles à la mode ? L’espérance populaire palpite dans l’air salubre qui va purifier l’atmosphère de Versailles. Que n’attendrait-on pas de ce jeune dauphin, si bien intentionné, si retenu dans ses mœurs, de cette adorable dauphine qui traîne tous les cœurs après elle ? Une Reine, enfin, à la place des indignes favorites ; non plus l’épouse sacrifiée dont une tradition déjà séculaire avait fixé le type, la continuatrice maussade de la dynastie, pauvre étrangère « à qui le Roi fit dix enfans sans lui avoir jamais dit un mot ; » non plus un accessoire importun de l’étiquette royale, mais une vraie Reine, qui portera le diadème dans la grâce et dans l’amour, qui ressaisira le pouvoir usurpé par les courtisanes et en usera pour répandre des bienfaits. Nouveaux souverains pour un nouveau siècle. Car le siècle a brusquement changé ; seuls, les vieillards de Versailles retardaient sur le sentiment public, métamorphosé par ce magicien, Rousseau. A sa voix, le cœur a pris le dessus sur l’esprit, la sensibilité sur la galanterie, les plaisirs de la nature sur les plaisirs de la société. Il a même rapiécé une morale, telle quelle, où les théologiens