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hurlante d’un peuple, on ne sait quoi de déchaîné et de déséquilibré, qui rit et qui pleure à la fois, quelque chose de si excessif et de si extravagant que cela n’a de nom dans aucune langue, pas même en espagnol où les mots ont pourtant une solennité et une sonorité qui se prêtent à toutes les exagérations.

Isabelle II s’est enfuie, abandonnée plus que vaincue. Serrano garde pour lui le titre de chef du pouvoir exécutif et ne donne à Prim que le ministère de la Guerre et le grade de capitaine-général, le bâton de maréchal. Ainsi Prim respecte la promesse faite jadis à Topete, il ne réclame pas la première place ; il se contente de la seconde. Mais le peuple, qui l’adore, bien qu’il ne le flatte ni même le ménage, sait ce qu’il sait et intervertit l’ordre. Officiellement Serrano règne ; mais effectivement Prim est roi.


III

Il l’eût été de titre et de fait, s’il l’eût voulu. J’ai dit que par deux fois il avait été porté jusque sur la première marche d’un trône. La première fois, au Mexique : il a été ouvertement accusé d’avoir pensé à s’y tailler à lui-même un empire. N’allait-il pas sans cesse répétant « que la candidature d’un archiduc autrichien était absurde, et que, s’il y avait des chances pour quelqu’un, peut-être serait-ce pour un soldat heureux[1] ? » Il ne niait pas le propos, mais il l’expliquait. Le soldat heureux, ce n’était pas lui. Au Mexique, il ne pouvait être question que d’un soldat mexicain. Mais il était à demi Mexicain par son mariage, et apparenté à des ministres, à des familles considérables. Il se laissait couvrir de dithyrambes et poser en soldat éminemment heureux. Aucun effort plus positif, d’ailleurs : la présence des Français et des Anglais le gênait ; il n’avait pas le champ libre. Si l’expédition fût restée une expédition espagnole, l’affaire, alors, eût pu se régler entre Espagnols et Mexicains ; la transaction eût pu se faire sur une personne ; et, les Mexicains n’admettant pas que cette personne fût un prince espagnol, ni les Espagnols que ce fût un soldat mexicain heureux, elle eût pu se faire en la personne d’un soldat heureux, Espagnol déjà mexicanisé. Le projet n’avait pas autrement de consistance, et la

  1. Sur l’affaire du Mexique et aussi sur la candidature Hohenzollern ; M. Léonardon a deux chapitres particulièrement intéressans.