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Novaliches, pour leur donner le troisième laurier, la troisième torsade, le tercer entorchado. Le soir même, dix-huit généraux passaient à la révolution. Dans une sorte d’aveuglement de fureur, le gouvernement fait déporter aux Canaries Serrano, Dulce et deux ou trois autres, tandis qu’il expédie au Duc et à la Duchesse de Montpensier l’ordre de quitter immédiatement l’Espagne. La reine Isabelle est perdue.

La conspiration a deux foyers : l’Union libérale, le Centre démocrate-progressiste ; d’un côté, Serrano, de l’autre, Prim. Serrano est aux Canaries, Prim est à Londres, mais, par la « permanence M de Madrid, ils correspondent. Avant de partir, Serrano a d’ailleurs pris soin de s’assurer le concours de deux auxiliaires puissans, l’amiral Topete, le général Izquierdo. C’est Topete qui commande à Cadix, où sur ses navires, aux termes mêmes des règlemens, il est « le maître après Dieu, » et après la reine, qui maintenant est si peu la maîtresse. Le plan est arrêté : la journée du 9 août doit entendre sonner l’heure suprême. Mais elle ne sonne pas. Les choses traînent jusqu’à la première semaine de septembre, chacun des deux groupes ayant peur de tirer les marrons du feu et de donner l’avantage à l’autre.

Le 8 septembre, Topete envoie la Buenaventura, — un nom fait à souhait pour une telle aventure, — chercher les généraux, ses généraux, aux Canaries. Mais Prim a déjà quitté Londres et, sous l’accoutrement d’un domestique, a pris la malle des Indes, qui le débarque à Gibraltar. Il y rencontre un confident de Topete, chargé de lui conseiller charitablement et dans son intérêt, comme dans l’intérêt de la cause, de ne point entrer en Espagne, de ne pas se rendre à Cadix avant que Serrano et les autres soient de retour. Seulement il se trouve que cet agent des unionistes est lui-même un républicain, un démocrate ardent, et que, dès que leurs yeux se croisent, ces deux augures, Prim et le confident, ne peuvent se regarder sans se comprendre. Et c’est, comme dit l’autre, « une belle turlupinature ! »

Dûment averti, Prim, aussitôt, loue un bateau, et, vers mnuit, alors qu’on le croit retenu et « amusé » à Gibraltar, aborde à Cadix le vaisseau-amiral, le Zaragoza. Il n’y a pas moyen de ne pas le recevoir, pas moyen de refuser cette collaboration qui s’offre inopinément et en forme telle qu’elle s’impose. Topete, cependant, éprouve des scrupules : il veut bien marcher, mais pour les unionistes ; il veut bien se prononcer, mais pour les