Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’au bout ; il n’y a plus pour lui de salut que dans le succès, et il lui faut accepter le succès avec toutes ses conséquences possibles, même celles qu’il n’avait pas prévues, même celles qu’il n’eût pas souhaitées, même celles qu’il a redoutées et que peut-être il redoute encore. La dernière, après tant d’autres, c’est la chute des « obstacles traditionnels, » c’est, sans périphrase, la chute d’Isabelle II, la déchéance des Bourbons et la ruine de la monarchie. Seulement Prim ne veut ni qu’on le crie, ni qu’on en parle, tandis que les républicains, Castelar, Pi y Margall, Orense, Martos, tiennent à ce qu’on en parle et à ce qu’on le crie. Prim se résignerait à avoir jeté bas les Bourbons ; les républicains annoncent, en s’en glorifiant, qu’on les jettera bas.

Si Prim réclame que là-dessus on se taise, ce n’est pas tant encore par un reste d’affection ou de dévouement ou de pudeur que par tactique : une expérience récente lui a révélé les fâcheux effets d’une éloquence intempestive, et, en bon conspirateur, il a toujours un doigt sur la bouche.

Cependant, lui aussi, il parle et il parle trop : ses fils étaient rattachés : il les coupe. « Derechef enfourchant sa vieille chimère d’une milice nationale, » il se laisse aller à promettre « l’abolition de la conscription militaire. » Mais la milice nationale, c’est la fin de l’armée, et la fin de l’armée, c’est leur propre fin pour beaucoup d’officiers qui ne sentent pas du tout la nécessité de finir. Ils le firent bien voir au général quand, revenant à la province et se croyant sûr de la garnison de Valence, il arriva au Grao sur un vapeur à bord duquel il attendit vainement, pendant quarante-huit heures, le signal qui devait venir de terre ; à terre, personne ne bougea, et comme ce vapeur, là devant, à l’ancre depuis deux jours, commençait à être suspect, il n’y avait plus qu’à repartir. Prim rentra en France par Marseille, pas tout à fait désespéré encore. Des émissaires s’étaient répandus dans les provinces du Nord et du Nord-Est, Navarre et Catalogne. Il se rapprocha d’eux, se montra à l’Espagne, du haut des Pyrénées, de Perpignan. En vain. C’était un septième échec et un cinquième ou sixième exil : exils portugais, anglais, français, belge, italien et suisse : mais c’était le dernier échec, et c’était le dernier exil.

Dans les jeux de la fortune, jamais on ne rebondit plus haut que lorsqu’on est le plus bas tombé : qui veut assez longtemps peut l’impossible. De plus en plus le mécontentement tourne à