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Londres, il recommence. Le réseau de la conspiration s’étend de plus en plus ; d’abord une ville, puis deux, puis plusieurs, et puis presque toute la péninsule. On songe à un mouvement d’ensemble, de tous les côtés à la fois et de tous les partis. Les progressistes purs et les démocrates se fatiguent de rester les bras croisés ; s’ils n’ont pas été à la peine, seront-ils, le cas échéant, à l’honneur ? Aussi bien, si le pronunciamiento ne suffit pas, pourquoi n’y point joindre l’insurrection ? Si l’élément militaire, réduit à ses seules forces, est impuissant, pourquoi ne pas appeler à la rescousse l’élément civil ? Prim a fait de nombreuses adhésions dans les garnisons de la Castille-Vieille : il fait circuler le mot d’ordre, on se concentrera à Miranda de Ebro, et lui-même, venant d’Hendaye, y arrivera tel jour pour prendre le commandement. Mais les civils qui sont dans l’affaire n’entendent pas qu’elle se fasse au profit des militaires, ni les démocrates au profit des simples progressistes, ni les autres généraux au profit du général Prim. En toute hâte, le devançant, le général Pierrad « lance le cri ; » l’émeute envahit la caserne de San Gil, pille le magasin d’armes. Le sang coule. La répression est impitoyable. c’est encore manqué, mais cette fois tristement et sinistrement ; cette fois, c’en est fini de l’opérette. Ce n’est plus un jeu, ce n’est plus un pronunciamiento selon le livret et avec l’accompagnement ordinaires ; ce n’est même plus l’insurrection, c’est la révolution.

Il y a d’ailleurs, depuis longtemps déjà, de l’anarchie et de la révolution dans l’air. Tandis que des personnages comme don Juan Prim s’agitent au premier plan de la scène, au fond, la toile se déroule en un changement à vue qui ne s’interrompt pas : Narvaez remplace O’Donnell, O’Donnell remplace Narvaez : ils sortent par la cour, rentrent par le jardin, font trois petits tours et puis s’en vont, puis ils reviennent. Paris et Bruxelles sont pour les réfugiés espagnols des foyers de conspiration. Dans une conférence tenue à Ostende, on jure de « détruire tout ce qui existe dans les hautes sphères du pouvoir. » Un comité exécutif est nommé à cet effet, et la présidence en est dévolue à Prim. Il jure, lui qui naguère a juré ! ... Le marquis de Los Castillejos a toujours « la main sur la garde de son épée sans tache, » mais ce n’est plus pour défendre la reine Isabelle II, c’est pour la combattre.

Prim est maintenant engagé trop à fond pour ne pas aller