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que libéraux ; le seul qu’on ne veuille pas essayer, c’est un ministère progressiste ; que l’épée du parti se lève donc ! La parole est au général.

Aussitôt Prim commence à « tâter » l’armée, à faire un pointage, à donner des coups de sonde, à chercher des hommes, dans les cadres et dans les rangs. Car il faut, lorsqu’on veut tenter le pronunciamiento des généraux, éviter le contre-pronunciamiento des sergens : le pronunciamiento total, c’est celui qui réunit les deux, où l’on tient l’officier par les généraux et le soldat par les sergens. Jusqu’au grade de colonel ou de commandant, l’officier « rend » d’abord assez bien ; il entre, sans les connaître toutes, dans les vues du grand chef. Il croit entendre, — et c’est en effet ce que Prim lui-même entend à cette heure, — qu’il s’agit simplement d’un changement de politique, dans la monarchie et sous la monarchie ; que tout au plus il s’agit d’obtenir une application plus intelligente, une interprétation plus libérale de la constitution ; mais que la grosse affaire est de remplacer au pouvoir les conservateurs par les progressistes. Or, comme il est vaguement progressiste, et qu’au reste cela ne « aurait nuire à son avancement, il estime que c’est fort bien, et il ne demande pas mieux que d’y concourir. Mais il est loyaliste aussi, et il ne consent pas à cette forfaiture de toucher à la reine ou à la royauté.

Le malheur fut donc que l’on ouvrit par un banquet, ainsi qu’une campagne politique ordinaire, cette campagne politique extraordinaire ; que dans un banquet on parle toujours, qu’un orateur parle beaucoup, et beaucoup plus encore qu’ailleurs, en Espagne et dans un banquet. Il y avait là non seulement des progressistes, mais des démocrates purs, leurs alliés et leurs conjurés, qui, eux, ne s’arrêtaient respectueusement ni devant la royauté, ni devant la reine, ne voyaient en l’une et en l’autre que « les obstacles traditionnels, » et n’hésiteraient pas, le jour venu, à les traiter comme des obstacles, à les renverser et à les briser. Olozaga ne se tint pas de dire un mot encourageant pour tout le monde ; un mot et même plusieurs mots de trop.

Des complices effrayés retirèrent leur parole. La nuit du 4 mai avait été choisie ; on ne se montra point : c’était un premier « raté. » Depuis lors, 4 mai 1864, jusqu’au succès définitif, et dépassant même les desseins et les désirs, septembre 1868, Prim ne se lasse pas d’entasser pronunciamientos sur pronunciamientos ; huit en