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II

A son retour du Mexique, Prim a trouvé l’Espagne] sous le règne d’Isabelle II et le gouvernement d’O’Donnell ; autrement dit, pour qu’on se représente quelque chose de clair et de connu, il a trouvé l’Espagne régie par cette politique conservatrice-libérale et par ce parti conservateur-libéral qui devaient plus tard s’incarner en M. Canovas del Castillo et tirer tant de force de sa forte personnalité. Dans l’opposition, les progressistes mécontens, en train de reformer leur aile gauche ; ou plutôt cette aile gauche est déjà reformée, le radicalisme se reconstitue : il a ou il aura son orateur, Olozaga, mais son général, Espartero, s’est retiré sous sa tente ; ce parti-là cherche a une épée. » Entre toutes brille alors « l’épée sans tache » du marquis de Los Castillejos ; on la lui demande, volontiers il l’engage. Il peut le faire d’ailleurs sans manquer à son serment, car, pour l’instant du moins, il n’est pas question de toucher à la Reine, et même en restant dans les termes de son serment : « défendre vos droits au trône constitutionnel des Espagnes. » Ce mot y était bien : « constitutionnel ; » et n’était-ce pas de quoi, au besoin, mettre une conscience à l’aise ?

Justement le trône devenait déjà moins « constitutionnel. » Le ministère restreignait tout à coup, sinon le droit de suffrage, un droit qui y touche, le droit de réunion. Par cette résolution inconsidérée, il jetait le parti progressiste-radical de l’opposition dans le retraimiento, hors des pratiques parlementaires, hors, lui aussi, des voies constitutionnelles. On sait ce qu’est le retraimiento, cette abstention, cette séparation systématique, cette espèce d’émigration à l’intérieur, de toute une partie de la nation qui boude, qui se retranche à l’écart, qui refuse de vivre de la vie nationale. C’est la position de combat, la formation en ligne avant la bataille. C’est la préface ou en tout cas la menace de la révolution, l’introduction à l’émeute ; et, dans ce temps où chaque parti « avait son épée, » c’était le signal du pronunciamiento. Le pronunciamiento va bientôt être la seule issue d’une situation sans issue, une dernière tentative de conciliation ayant échoué. Les circonstances y prêtent, elles y poussent presque ; les ministères s’abattent les uns sur les autres ; on en essaye six en trois jours, tour à tour plus libéraux que conservateurs ou plus conservateurs