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exclu d’Espagne, revenu en Espagne ; disparaissant, reparaissant ; réélu aux Cortès, tantôt ici, tantôt là ; réinvesti d’un commandement, tantôt de l’autre côté du détroit, à quelque cent lieues de la capitale, tantôt, pour plus de sûreté, à quelque douze cents lieues, de l’autre côté de l’Océan ; acceptant le gouvernement de Puerto-Rico, parce que la place est bonne à prendre, la quittant presque aussitôt parce qu’elle est gênante et paralysante à garder ; lui préférant de nouveau un siège à la Chambre, puis de nouveau la préférant à un siège à la Chambre ; dupant, dupé, rusant, brusquant, s’insinuant, s’imposant. Il est à Paris, à Vichy, à Constantinople, à Routschouk, aux Antilles, à Melilla, à Grenade quand il a des amis dans le ministère ; mais il ne fait que traverser Madrid ; on le tient autant que possible le plus loin possible.

C’est un écheveau de réélections et de nominations, de brouillés et de raccommodemens, de missions, de démissions et de compromissions. Cela est obscur comme de l’intrigue, douteux par- fois comme du marchandage, mais recouvert par une grande noblesse d’attitude, une grande beauté de geste, une grande dignité de parole ; cela se drape bien à l’espagnole dans la cape d’une éloquence pompeuse et somptueuse. Le matador va galamment et vaillamment au-devant du taureau, et il le franchit en le prenant par les cornes. Aux insinuations sourdes, la réponse est une apologie retentissante. Avec quelle hauteur, avec quelle horreur Prim repousse du pied, et à juste titre, l’accusation de s’être vendu jadis aux cristinos pour « il ne sait combien de millions, car chacun a dit son chiffre ! » C’est que toute histoire d’argent salit, et que Prim ne veut être sali ni par une histoire d’argent, ni par une histoire de trahison. Non, il en prend l’univers à témoin, ni pour des millions, ni pour des titres, ni pour des grades, ni pour rien, il ne s’est ni vendu, ni donné, ni prêté ! Malgré tout, on aimerait mieux qu’un soldat comme lui n’eût pas à se défendre, que sa « feuille de services » fût sa seule apologie.

Et aussi bien l’est-elle incontestablement, dès qu’il cesse d’être un général d’insurrection et de révolution, pour redevenir un général tout court, dès qu’il cesse d’être un parlementaire pour redevenir un militaire. Ces dix ou quinze ans de son existence seraient, en leur complication, assez gris et confus, sans le rayon de pure gloire qui, du Maroc, vient les illuminer