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ne peut plus ou ne veut plus rien faire pour Prim : en se détachant de lui, Prim lui est à peine infidèle : il est surtout fidèle à Prim, qui s’attache plutôt à l’avenir qu’au passé.

Colloques mystérieux au sein d’une association secrète qui n’est, sans doute, comme beaucoup d’associations de ce genre, qu’une société de protection mutuelle, de courte échelle réciproque, une franc-maçonnerie de l’avancement. Le gendarme est à présent prisonnier du conspirateur. Il va faire son début dans l’art du pronunciamiento, début médiocre en somme, puisque, s’il soulève Reus et entraîne 1 500 miliciens jusqu’à Tarragone, Prim échoue devant cette place, est contraint de battre en retraite, de s’enfermer dans Reus, de s’y défendre, et, au bout du compte, d’en sortir, avec les honneurs de la guerre, — quels honneurs et quelle guerre ? — mais enfin contraint d’en sortir, c’est-à-dire chassé, c’est-à-dire battu. Tout battu qu’il est, Barcelone l’accueille, non pas en vaincu, mais bien en vainqueur : il y savoure la joie d’être l’idole des foules, de se sentir porté en quelque sorte au-dessus de toutes les têtes sur les regards et sur les cris : il la savoure un peu trop longuement. Lorsqu’il entre dans Madrid avec la division catalane, Narvaez y est installé de la veille. Prim a travaillé pour un autre ; on l’en console par des faveurs : il est créé comte de Reus et vicomte del Rruch, fait général de brigade et gouverneur en second de Madrid ; au prix de ce pronunciamiento manqué, que ne lui est-il pas permis d’attendre d’un pronunciamiento qui réussira !

Mais, si Madrid le fête, Barcelone le boude. Les modérés l’ont pris, les radicaux le lâchent ; les modérés le lâchent, les radicaux le reprennent. Quand il l’a flatté de la main, Narvaez l’expédie. Alors commence pour Prim la vie matériellement et moralement, réellement et politiquement errante. Il vient de passer et de repasser d’un parti à l’autre parti ; il va passer et repasser de l’armée à la Chambre, de la Chambre à l’armée, et d’un pays à d’autres pays. Pendant dix ou quinze ans, de 1845 à 1860, on le voit successivement « autorisé » à voyager en France, — aimable euphémisme pour dire proscrit, — inculpé de complot et de tentative d’assassinat contre Narvaez, parce qu’on a trouvé au fond d’un puits deux trabucos, deux espingoles qui pourraient être à lui, traduit de ce chef en conseil de guerre, condamné à six ans de prison, gracié, banni encore ; conspirant du dehors ou regardant conspirer ; persécuté, toléré, rappelé ;