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d’abord parmi les exaltés : il les dépassa même, poussant un peu au delà, lui, Catalan, vers les « démocrates catalans, » et d’autant plus démocrate ou d’autant plus radical à cette heure qu’il avait une raison personnelle d’être mécontent : on n’en finissait pas de le confirmer dans ce grade de colonel qu’il avait bien gagné, qu’on lui avait donné, dont il avait besoin. Il n’avait pas de fortune et il lui fallait une carrière : jeté tout jeune dans la carrière militaire, il fallait donc qu’il y fit une fortune. Elle devait conduire à tout un homme décidé, comme il l’était, à ne s’arrêter devant rien : elle le pouvait, et il en savait le moyen, qu’Espartero lui avait enseigné.

Deux leviers : l’armée, la politique ; appuyer alternativement sur les deux, faire servir la politique à l’avancement dans l’armée, et l’autorité dans l’armée au succès de la politique. Le jeu était connu, presque classique, avant Prim, mais il se préparait à le jouer avec ampleur et maîtrise. Voilà pourquoi, les lois ne s’y opposant pas, les mœurs s’en accommodant, et d’illustres exemples y portant encouragement, le colonel contesté D. Juan Prim se fit élire député de Tarragone : voilà comment le membre des Cortès D. Juan Prim obtint tout naturellement en quelques jours ce que le héros de Casa-Llovera avait mis plus d’un an à ne pas obtenir ; voilà enfin pourquoi et comment D. Juan Prim devint Prim.

Député, on ne le veut pas à la Chambre et on le nomme quelque chose comme commandant de la gendarmerie andalouse. Or, c’est la saison des pronunciamientos : il en pousse sur tous les points et sur toutes les routes du royaume. Les fonctions de Prim le mettent aussi souvent en face de conspirateurs que de brigands ; elles le mettent un beau jour en face de Narvaez, qui projette on ne sait quoi : peut-être d’enlever Isabelle II pour la replacer sous la tutelle de Marie-Christine. Narvaez essaye de passer, Prim l’en empêche ; d’un bord à l’autre de la frontière, ces adversaires s’apprécient. Le conspirateur, dépisté, regagne Paris. qui va l’y rejoindre ? Le gendarme. Mais Prim est un exalté, un radical, un démocrate, et Narvaez est le contraire de tout cela ; mais Prim est l’obligé d’Espartero, contre qui Narvaez complote : il lui doit ses galons et ses épaulettes ! Peu importe, Espartero n’a-t-il pas fait bombarder Barcelone ? C’est un réactionnaire ; il s’agit de l’abattre, et, pour l’abattre, il est permis de s’allier à plus réactionnaire que lui. Du reste, Espartero