Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’ils fassent ce choix de bonne heure, car l’ennemi de toute vie sociale, l’égoïsme est là, guettant leur volonté et s’apprêtant, s’ils ne prennent pas franchement leur parti, à la subjuguer ; il ne faut pas l’oublier, c’est entre 18 et 24 ans que l’homme fait sa destinée. S’il a perdu ces six années, s’il s’est laissé vivre, s’il n’a pas dirigé sa vie, fait l’éducation de sa volonté, s’il ne s’est pas pénétré des obligations que lui impose le devoir public, il ne peut que très malaisément échapper plus tard au tourbillon qui l’emporte : il ira grossir l’armée des indifférens ; il pourra donner l’exemple de toutes les vertus privées ; il ne sera, pour la société ébranlée, ni un moteur, ni un appui.

Qu’est-ce que la science de la vie ? C’est de connaître l’ordre des devoirs. L’éducation de l’homme est achevée, lorsqu’il est pénétré dans son âme d’un triple devoir : devoir envers lui-même, parce que sans la vertu, sans les principes supérieurs à notre nature qui l’inspirent et le règlent, il ne possède pas de force ; — envers la famille ; qui est l’objet direct de ses efforts, — envers la société, qui n’est pas une abstraction, qui ne peut vivre en dehors de lui et sans lui, à laquelle il doit apporter sa collaboration en lui communiquant ainsi une parcelle de vie.

S’il se soustrait à un de ces trois devoirs, il est inutile ou malfaisant. S’il les accomplit, il devient pleinement homme et citoyen.

De la famille et de l’individu se soucient assez peu les partisans fanatiques de l’Etat. Puissance indépendante, tirant sa force d’elle-même, chargée de faire le bonheur des foules, l’État, suivant eux, exerce un pouvoir propre : jadis au nom du droit divin, de nos jours, par une délégation souveraine du nombre, il agit, marche, brise les résistances. La centralisation, qui a été l’aspiration de la France depuis huit cents ans, et qui, au XVIIe siècle, a été, il faut bien le reconnaître, la cause de son influence dans le monde, a poussé à l’excès son principe ; toute-puissante pour lever les conscrits et armer une nation, instrument militaire de premier ordre entre les mains d’un conquérant, elle établit, dans la paix et dans l’ordre civil, une discipline de détail qui habitue le citoyen à se désintéresser de tout ; elle introduit, sous prétexte de gouvernement, un régime de tutelle qui s’étend sur tout le territoire et prévient toute spontanéité Elle est arrivée, peu à peu, au cours du XIXe siècle, sous les régimes les plus différens, avec une série de constitutions monarchiques ou républicaines,