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prévoyant aurait dû charger le Préfet de composer ces syndicats de compétences locales qu’il aurait su découvrir et désigner par arrêté. Laisser la liberté faire son œuvre, n’était-ce pas un scandale ? Le vieil esprit de la constitution de l’an VIII qui vit et respire encore sous l’amas des dossiers dans le fond des bureaux de Préfecture n’était-il pas prêt à se réveiller pour déclarer que de tels désordres risquent de créer un État dans ]’E]tat ? Mot formidable dont on s’est servi, pendant trois quarts de siècle, pour épouvanter les foules. Rendons hommage à notre temps, à ce progrès des mœurs que tant de gens se plaisent à nier. L’association n’effraye plus ; tout ce qui est intelligent en France est décidé à user de la liberté, et, si la plus injustifiable des haines antireligieuses a prétendu dresser encore contre le droit commun un dernier rempart, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cette exception, aussi blessante pour la justice que pour le bon sens, est le dernier effort d’une réaction qui tente en vain de lutter contre les idées modernes et contre le progrès régulier de notre législation depuis un siècle.

Le droit d’association, — il faut que les partisans des restrictions s’y résignent, — est l’air respirable d’une démocratie. Avec lui, c’est la force et la vie qui entrent dans le corps social.

La loi nouvelle, — même dans la partie qui établit la liberté, — n’est pas entièrement dégagée de préjugés ; néanmoins, c’est un premier et très grand pas.

Les différens besoins qu’éprouvent les hommes, besoins moraux et matériels, y trouveront leur satisfaction. Depuis la création d’un parti et son organisation, qui était défendue par le Code pénal, ce qui réduisait toute opinion politique à des menées occultes, jusqu’à une œuvre de bienfaisance, qui ne pouvait sans prête-nom posséder ses souscriptions, toute action collective était frappée d’interdit. Un tel régime tuait les initiatives et abaissait les caractères ; il empêchait d’agir ou humiliait toute action en la faisant esclave du mensonge ; il était une perpétuelle excitation au mépris de la loi, habituait à s’en passer et transformait sa violation en coutume. Il est permis maintenant de s’affranchir de ces entraves malsaines, l’heure est venue d’appeler à agir tous ceux qui sont capables d’un effort viril.

Les bonnes volontés dispersées vont pouvoir se grouper ; elles se donneront des tâches et tireront du sommeil des engourdis qui deviendront des collaborateurs. Dans une société véritablement