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créer des comités départementaux d’habitations à bon marché ; mais, si nous y regardons de près, la vie de tous ces organismes est très faible : les services techniques, les bureaux de la mairie ou ceux de la Préfecture s’efforcent de concentrer toutes les affaires et voient, avec une défiance qu’ils ne cherchent pas à dissimuler, l’ingérence qui les trouble.

Essayerons-nous de faire la même enquête à Paris ? Elle serait aussi courte que vaine. J’ai consulté en différens quartiers les plus anciens habitans : si l’on excepte les cinq mois de Siège de Paris, ils ne se souviennent pas d’avoir jamais été mis en réquisition par la mairie pour un service public.

Parlerons-nous du Bureau de bienfaisance, qui occupe si peu de monde et tient si peu de place ? Mentionnerons-nous, pour être complet, une session de jury criminel, service très rare qui atteint les uns tous les quatre ou cinq ans, les autres presque jamais ?

Telle est, pour un Français qui n’exerce pas de fonctions électives, la part de service que requiert de lui la chose publique.

Le moment semble venu de nous demander si cette très faible participation aux affaires locales n’a pas, à plusieurs points de vue, des conséquences graves.

Nous y sommes tellement accoutumés que le péril lui-même nous échappe. En effet, ce n’est ni une nouveauté, ni le vice inhérent à un système politique dans le sens vulgaire qu’attachent à ce mot les partis. Tous les gouvernemens qui se sont succédé en France au XIXe siècle ont obéi aux mêmes préjugés. Sous tous les régimes, l’administration n’a poursuivi qu’un but : se passer des commissions où siègent des particuliers pour y substituer l’action des fonctionnaires, écarter. les regards indiscrets, maintenir sa prééminence à la bureaucratie, qui ne peut se tromper ; en faisant taire toute contradiction, elle a peu à peu réussi à faire le vide autour d’elle ; elle a créé ainsi un pouvoir qui a les apparences et non les réalités de la force, qui est très exclusif et par conséquent factice et fragile.

Il ne s’agit pas seulement de savoir si cette conduite est manifestement contraire au régime démocratique ; si un peuple libre qui est chargé de se gouverner ne doit pas être mêlé aux affaires ; s’il ne doit pas en recevoir quelque éducation pratique ; et s’il est bon de le priver de toute action, sauf à lui donner un