Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Henri Estienne sur le Langage français italianisé, ou encore de rappeler qu’après Vaugelas lui-même, en 1676, l’académicien Charpentier devra composer tout un livre, pour établir, contre les latiniseurs de son temps, l’Excellence de la langue française.

En second lieu, s’il fallait épurer le courant de la langue de tout ce que les parlers provinciaux ou techniques y mêlaient d’un peu bourbeux, et, non pas les sacrifier, mais réduire à l’unité, ou comme on disait alors, à « l’universel, » ce que les jargons ou patois avaient de trop local ou de trop particulier, c’est encore ce qu’ont opéré les Remarques de Vaugelas. Voici, sur cet article, un curieux passage des Remarques : « C’est une faute familière à toutes les provinces qui sont de la Loire, de dire : quel mérite que l’on ait, il faut être heureux, au lieu de dire : quelque mérite que l’on ait. Ceux du Languedoc, après avoir été plusieurs années à Paris, ne sauraient s’empêcher de dire : vous languissez pour : vous vous ennuyez. De même un Bourguignon, qui aura été toute sa vie à la cour, aura bien de la peine à ne pas dire sortir pour partir, comme : je sortis de Paris un tel jour pour aller à Dijon, au lieu de : je partis de Paris, et : il est sorti, pour il est parti. C’est ainsi que les Normands ne peuvent se défaire de leur rester pour demeurer, comme : Je resterai ici tout l’été, pour dire : Je demeurerai… » Malherbe, gentilhomme normand, s’était proposé de « dégasconner » la Cour ; on pourrait dire que Vaugelas s’est proposé de la « déprovincialiser, » et il semble qu’il y ait réussi.

Mais on voulait encore que cette langue, ainsi épurée, et rendue à l’indépendance de son génie naturel, se fît capable d’exprimer des « clartés de tout » d’une manière intelligible à tous ! Nous avons essayé de montrer comment Vaugelas avait satisfait à cette exigence par sa théorie de l’usage « aristocratique » ou de Cour, et c’est le moment ici de rappeler à ceux qui la lui reprochent le couplet de Clitandre :


Permettez-nous, Messieurs nos savans, de vous dire,
Avec tout le respect que ce nom nous inspire,
Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous,
De parler de la Cour d’un ton un peu plus doux ;
Qu’à la bien prendre au fond, elle n’est pas si bête
Que vous autres. Messieurs, vous vous mettez en tête.
Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout.
Que chez elle on se peut former quelque bon goût,
Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie.
Tout le savoir obscur de la pédanterie.