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s’imaginent que, quand on se sert de phrases usitées, et qu’on a accoutumé d’entendre, le langage en est bas et fort éloigné du bon style. Mais leur opinion est tellement opposée à la vérité que non seulement en notre langue, mais en toutes les langues du monde, on ne saurait bien parler ni bien écrire qu’avec les phrases usitées et la diction qui a cours parmi les honnêtes gens et qui se trouve dans les bons auteurs. » Et voilà un Vaugelas qui ne laisse pas d’être assez différent du pédant morose et prétentieux dont Bélise se réclame dans les Femmes savantes. Mais Molière, on le sait, n’était pas très scrupuleux sur la qualité de ses plaisanteries, et pourvu qu’il fit rire, sa verve un peu grossière ne se souciait guère de considérer aux dépens de qui ni de quoi. Satirique ingrat ! dont le style ne se justifie contre les critiques des difficiles, depuis Fénelon jusqu’à Edmond Scherer, que par le principe de Vaugelas, et que les pédans ne taxent d’incorrection que pour avoir écrit comme on parlait de son temps, et non pas comme on fait depuis que les Dumarsais, les Condillac, les Lhomond et les Chapsal y ont passé. Tandis qu’au contraire, il n’y a pas de principe dont Vaugelas, dans ses Remarques, se montre plus convaincu, et je n’en veux pour témoignage que cette phrase de la Préface : « La parole qui se prononce est la première en ordre et en dignité, puisque celle qui est écrite n’est que son image, comme t autre est l’image de la pensée. » N’est-ce pas comme s’il disait que la sincérité ou, selon son mot, la naïveté de la pensée s’altère, se dénature, s’évanouit à vouloir s’exprimer par une trop savante recherche et, au fait, il l’a dit quand il a écrit que « la naïveté est capable de couvrir beaucoup de défauts et même d’empêcher que ce soient des défauts. »

C’est ce qu’il ne faut jamais oublier quand on parle de nos o-rands écrivains du xvii° siècle, Corneille et Molière, Pascal et Bossuet, La Fontaine et Racine même. Ils ont écrit comme on parlait tout autour d’eux, comme écrivait, non loin d’eux, Mme de Sévigné, comme écrira, longtemps après eux, le duc de Saint-Simon ; et c’est pourquoi Voltaire, qui est d’une autre école, dira d’eux tous, tant qu’ils sont, qu’ils « ne doivent être lus qu’avec précaution sous le rapport du langage. » Et, en effet, c’est que Voltaire, s’il n’enfile pas encore ses manchettes de dentelle, s’habille cependant pour écrire. Il lui arrive souvent d’improviser, je ne dis pas le contraire, mais, avant d’improviser, et pour improviser, il se met dans « l’état littéraire. » Vaugelas a précisément