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leur province ; c’est le lieu où chacun ne se pique en parlant que d’être aussitôt compris de tout le monde, et ne vise qu’à la louange d’avoir parlé « en honnête homme. » Et déjà, si l’on s’en tenait là, ce qu’il faudrait reprocher à l’usage « aristocratique » tel que Vaugelas le conçoit, ce ne serait pas d’être l’usage d’une coterie, mais, au contraire et par définition, ce serait de tendre à « l’universalité. » L’hôtel de Rambouillet était peut-être une coterie : la Cour de Louis XIII et d’Anne d’Autriche n’en était plus une. On en voit la raison. C’est que, depuis la politique et la guerre jusqu’aux arts et jusqu’à la galanterie, il n’était rien qui ne fît l’objet des entretiens de la Cour, et il n’était pas de réalité que l’on n’essayât d’y traduire dans cette langue « universelle » et « aristocratique. » L’usage de la Cour, par définition, s’étend donc à tout ce qui peut tomber dans la conversation commune, et on ne voit pas qu’aucune partie de la vie humaine y puisse être soustraite.

A plus forte raison, l’usage des bons auteurs, s’il y a sans doute de « bons auteurs, » dans tous les genres, poésie, théâtre, histoire, philosophie, critique, érudition, théologie, grammaire même ; et qu’ainsi la matière de la littérature ne soit ni moins étendue, ni moins diverse que la matière de l’existence. Et ici, dans les Remarques, nous voyons poindre ce caractère qui bientôt deviendra l’un des plus notables de notre littérature classique. Il y aura de « bons auteurs » en tout genre, parce qu’il s’établira dans tous les genres une manière d’écrire conforme au bon usage ; et un Mémoire de Colbert ou une Instruction de Louvois seront de la « littérature » presque au même titre qu’une tragédie de Corneille ou qu’une Provinciale de Pascal.

Ce sera précisément un effet de cette conception du bon usage. Il sera « bon » de sa diversité, de sa souplesse et de sa clarté. On pourra tout dire « littérairement, » sans qu’il en coûte rien à la précision des choses. Et, sans compter que cet usage « aristocratique » sera toujours préservé du vague par ce qu’il s’y mêlera d’ « actuel » et de « français, » il le sera de l’immobilité par ce qu’il conservera de vivant. Le passage est encore à citer : « Qu’on ne m’allègue pas, — dit Vaugelas en défendant une phrase de Coëffeteau, — qu’on ne m’allègue pas qu’aux langues vivantes, non plus qu’aux mortes, il n’est pas permis d’inventer de nouvelles façons de parler, et qu’il faut suivre celles que l’Usage a établies, car cela ne s’entend que des mots... Mais il n’en est pas