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ne pourrait pas dire la teste d’un homme, à cause que l’on dit une teste de veau… » Mais quelle conclusion tire-t-il de là ? Qu’en dépit de ce qu’ils disent, nous continuerons d’user librement du mot poitrine ? Pas le moins du monde ! Mais, tout au contraire, et quelque « injuste » ou « ridicule » que soit en ce cas le « bel usage, » nous devrons cependant nous y conformer. Car, « ces raisons-là, très impertinentes pour supprimer un mot, ne laissent pas d’en empêcher l’usage, et, l’usage du mot cessant, le mot vient à s’abolir peu à peu, parce que l’usage est comme l’âme et la vie des mots. » Il dit encore, dans sa Remarque sur voire MESME : « J’avoue que ce terme est comme nécessaire en plusieurs rencontres, et qu’il a tant de force pour imprimer ce en quoi on l’emploie ordinairement, que nous n’en avons point d’autre à mettre en sa place qui fasse le même effet. » Mais quoi ! « On ne le dit plus à la Cour, et tous ceux qui écrivent purement n’oseraient en user. » Et, en conséquence, de décider que « l’on a beau se plaindre de l’injustice de cet usage, il ne faut pas laisser de s’y soumettre. » Évidemment, dans ces exemples, et dans vingt autres qu’on pourrait y joindre, l’usage, aux yeux de l’auteur des Remarques, c’est l’usage de fait, l’usage du jour, ou, si l’on le veut, c’est l’actualité. Il va plus loin encore, et, quand l’usage est démontré « certain, » il lui donne raison non seulement contre la logique ou contre l’histoire, mais contre « la grammaire et la règle. » « On demande s’il faut dire : « Je n’ai fait que sortir de la chambre, et j’ai trouvé une partie du pain mangé » ou « j’ai trouvé une partie du pain mangée. » Cette question ayant été agitée en fort bonne compagnie et de personnes fort savantes en la langue, tous sont demeurés d’accord que, selon la grammaire ordinaire, il faut dire : une partie du pain mangée, et non pas mangé. Mais la plupart ont soutenu que l’Usage — c’est lui qui met un grand U — disait : une partie du pain mangé et non pas mangée ; et que, l’Usage le voulant ainsi, il n’était plus question de grammaire ni de règle. »

On ne saurait donc lui reprocher, à lui, Vaugelas, personnellement, d’avoir « appauvri la langue, » et si, de son temps, comme il le constate quelque part, la moitié des locutions d’Amyot était tombée en désuétude, la faute n’en est vraiment pas à lui. Car, si l’usage « actuel » est ce qu’il est, que voulez-vous, lui, Vaugelas, qu’il y fasse ? Et, son dessein n’étant que de le constater, quelles raisons a-t-il de le combattre ? On aurait