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qu’elles sont belles de n’être point « raisonnées. » Ce n’est pas un mince mérite à Vaugelas que de l’avoir vu si nettement. Il y a un usage « national, » qui ne consiste pas évidemment dans l’emploi systématique et continu du « gallicisme, » mais dont le « gallicisme » est en quelque sorte la mesure ou le juge. Et cela ne veut pas dire que, si l’occasion s’offre à nous de faire d’heureux ou d’habiles emprunts à d’autres langues, nous nous en priverons ! Non ! nous continuerons de nous aider du grec et du latin, de l’espagnol et de l’italien, de l’anglais et de l’allemand quand il y aura lieu. Mais, en nous en aidant, nous tâcherons de nous inspirer du génie de notre langue, et le gallicisme nous en servira de moyen ou de mesure. Ainsi la langue se développera, s’enrichira, se perfectionnera dans le sens de ses aptitudes. Elle se proposera d’abord d’être « française, » et les qualités qu’elle s’efforcera d’acquérir, pour autant qu’elles lui manquent encore, ce seront les qualités de clarté, de netteté, de « naïveté, » — nous dirions aujourd’hui de « naturel, » — et de sociabilité, qui sont excellemment les qualités « françaises. »


III

Mais ce n’est pas tout, et si l’usage ne se détermine, en tant que purement « français, » que du dedans, Vaugelas estime que, de plus, il ne doit se déterminer que par rapport au présent, et que, « national » d’abord, il doit être en second lieu ce qu’on pourrait appeler « actuel : » signatum præsente nota. Quelques années auparavant, quand l’Académie française, dressant le plan de son Dictionnaire, avait commencé par établir la liste des « autorités » qui feraient loi pour elle, elle n’était pas remontée pour la prose au delà d’Amyot, mais elle était remontée pour les vers au delà de Ronsard, et jusqu’à Clément Marot. Ni Marot, ni même Amyot, qu’au surplus il estime, ne sont des « autorités » pour Vaugelas, ou, si l’on aime mieux, ce sont des autorités trop lointaines, et il n’en admet que de contemporaines. On lit, dans son article sur le mot de poitrine : « Poitrine est condamné, dans la prose, comme dans les vers, pour une raison aussi injuste que ridicule, parce que, disent-ils, — et je ne sais qui sont ces Ils, — on dit poitrine de veau... Par cette même raison, il s’ensuivrait qu’il faudrait condamner tous les noms des choses qui sont communes aux hommes et aux bestes, et que l’on